Exercices militaires grecs au large de la Méditerranée.
Alors que l’Union Européenne (UE) s’apprête, lors d’un sommet prévu le 24 septembre, à imposer des sanctions contre la Turquie à cause de ses manoeuvres militaires en Méditerranée, Ankara poursuit sa politique d’intransigeance et d’obstination, en annonçant, samedi 29 août, de nouveaux exercices militaires en Méditerranée orientale qui doivent durer deux semaines. Dans une notice d’information maritime publiée vendredi 28 août, la marine turque a indiqué qu’elle effectuerait des « exercices de tir » du 29 août au 11 septembre dans une zone située au large de la ville d’Anamur (sud de la Turquie), au nord de l’île de Chypre. Une décision qui attise les tensions avec la Grèce, qui a accusé Ankara de manoeuvres aériennes agressives. L’état-major de l’armée grecque a ainsi accusé, samedi 29 août, des avions de chasse turcs d’avoir pénétré la veille dans la région d’information de vol d’Athènes pendant que des appareils grecs accompagnaient un bombardier américain dans le cadre d’un exercice, dénonçant une « provocation ». De son côté, Ankara a affirmé vendredi 28 août que deux appareils turcs ont escorté le bombardier américain « dans l’espace aérien international en mer Egée », sans fournir davantage de détails, ni mentionner d’incident. En outre, le ministère turc de la Défense a fait état, le même jour, d’un autre incident aérien, affirmant que des avions de chasse d’Ankara avaient intercepté la veille six appareils grecs qui s'approchaient d’une zone où un navire de recherche sismique turc est déployé, les forçant à faire demi-tour. Selon le ministère grec de la Défense, les avions F-16 d’Athènes étaient en train de rentrer à leur base sur l’île de Crète lorsque deux avions de chasse turcs se sont approchés.
Positions divergentes
Il s’agit là d’un nouvel épisode dans le bras de fer qui se poursuit depuis plusieurs semaines entre Athènes et Ankara, qui se disputent le partage des eaux riches en gaz naturel en Méditerranée orientale, mais aussi, et surtout, la recherche d’hydrocarbures. La Turquie et la Grèce ont un différend sur la limitation de la Zone Economique Exclusive (ZEE). Or, la Turquie n’entretient pas de relations tendues uniquement avec la Grèce, mais avec toute l’Europe. Soutenant la Grèce, l’UE s’est dit prête à sanctionner la Turquie avec l’absence de progrès dans le dialogue avec la Grèce en Méditerranée. « Sans avancées diplomatiques, une liste de nouvelles mesures restrictives pourrait être discutée au prochain sommet européen du 24 septembre », a fait valoir, vendredi 28 août, Josep Borrell, le Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères à l’issue d’une réunion des ministres des Affaires étrangères des Etats membres à Berlin.
Cependant, au sein de l’UE, les réactions sont diverses. La France, dont les relations franco-turques se sont considérablement tendues ces dernières semaines, a une position plus sévère. Le président Français, Emmanuel Macron, a parlé « d’une ligne rouge » vis-à-vis de la Turquie, notamment en Méditerranée. « Ces dernières années, la stratégie qui a été celle de la Turquie n’est pas la stratégie d’un allié de l’Otan », a-t-il souligné. La France veut montrer ses muscles pour légitimer sa place comme membre permanent du Conseil de sécurité des Nations-Unies. De plus, Paris, qui apporte un appui militaire direct à la Grèce, veut défendre son contrat de livraison d’armes avec elle, notamment la livraison de 12 Rafale. A noter que la France a déployé mi-août deux navires de guerre et deux avions Rafale pour soutenir la Grèce. Quant à l’Allemagne, elle se montre plus souple, appelant au dialogue et à un désamorçage immédiat des tensions dans la région. Selon des observateurs, la position discrète de Berlin s’explique par la résurgence du Covid-19 et le poids toujours inconnu de ses répercussions économiques. L’Allemagne craint également la réponse turque en cas de sanctions de la part de l’UE, en particulier sur le plan de la migration.
Ainsi, les intérêts des Etats membres de l’UE dans cette région sont divers et variés. Par exemple, l’Espagne fournit son savoir-faire à la Turquie en matière de construction d’aéronefs militaires, alors que Rome semble se rapprocher d’Ankara dans le contexte de la guerre en Libye. « Ces désaccords et ces divisions européennes au sujet de l’attitude à adopter envers la Turquie ont encouragé cette dernière dans sa politique agressive, notamment en annonçant la poursuite de l’exploration du gaz et des manoeuvres militaires en Méditerranée, tout en tournant le dos aux menaces européennes concernant l’imposition des sanctions », explique Béchir Abdel-Fattah, expert dans les affaires turques au Centre des Etudes Politique et Stratégique (CEPS) d’Al-Ahram, en ajoutant que les pays européens n’ont pas réussi à dissuader la Turquie.
Quant aux Etats-Unis qui ne veulent pas perdre leur allié turc, ils se montrent eux aussi flexibles vis-à-vis de la Turquie. Le président américain Donald Trump a déclaré que les deux alliés de l’Otan devaient engager le dialogue. Il a personnellement eu des échanges téléphoniques successifs avec le premier ministre grec et avec le président turc afin de les inciter à la désescalade. Une réaction qu’explique l’analyste. « Washington a besoin d’Ankara dans son affrontement avec la Russie. Les Américains ne vont donc pas prendre de position ferme contre Ankara », dit-il.
En revanche, « Chypre, la Grèce, la France et l’Italie se sont mis d’accord pour déployer une présence commune en Méditerranée orientale dans le cadre de l’Initiative quadripartite de coopération (QUAD) », a annoncé, mercredi 26 août, le ministère grec de la Défense. Entre la flotte turque et les bâtiments européens actuellement présents en mer, des navires américains sont également présents dans le cadre des missions de l’Otan. La Méditerranée n’avait pas connu une telle présence militaire depuis de nombreuses années.
Un climat de forte tension qui ne va cependant pas conduire à un conflit de plus grande ampleur, estime Béchir Abdel-Fattah. « Ni Ankara ni Athènes ne pourront supporter les frais d’une guerre, surtout avec la mauvaise situation économique des deux pays, chacun montre ses muscles à l’autre avant les négociations, pour être en position de force », conclut Béchir.
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