
Après trois législatives qui n'ont pas donné lieu à un gouvernement, Benny Gantz a la lourde tâche de faire des alliances viables.
Al-Ahram Hebdo : La formation d’un gouvernement en Israël s’avère quasi impossible après trois législatives en près d’un an. Le premier ministre nommé, Benny Gantz, réussira-t-il à former un exécutif ou bien risque-t-on de revoir le même scénario se répéter ?
Dr Saïd Okacha: Je pense que Benny Gantz va réussir à former un nouveau gouvernement et qu’il réussira à faire des alliances, car il y a un but stratégique voulu par tous les camps en Israël même s’il n’est pas annoncé: éloigner le premier ministre sortant Benyamin Netanyahu de la vie politique pour qu’il comparaisse devant la justice en tant que député et non pas en tant que premier ministre. Car tant qu’il est chef du gouvernement, il jouit d’une certaine immunité et il est impossible qu’il y ait un vrai procès. Netanyahu commence à perdre son poids en Israël. Certes, son procès a été reporté à cause du coronavirus, il n’en demeure pas moins qu’il est bel est bien affaibli. Autre raison de cet affaiblissement, la position américaine: le président américain, Donald Trump, est surtout préoccupé par les affaires internes, par la propagation du coronavirus et par les prochaines élections, Netanyahu ne fait pas partie de ses priorités.
— Quels sont donc les éventuels scénarios à venir ?
— Actuellement, il y a des divisions au sein du Likoud. Certains veulent se débarrasser de Netanyahu et s’allier avec Benny Gantz dans le futur gouvernement. D’autres veulent plutôt s’associer avec le chef du parti de droite nationaliste, Israel Beytenou, Avigdor Liberman, ancien ministre de la Défense, qui a claqué la porte du Likoud. Dans les deux cas, il y aura une sorte de partage du pouvoir. Bien sûr, avec Gantz, l’équation est claire. Gantz sera premier ministre les deux premières années et Gideon Saar, susceptible de prendre la tête du Likoud, occupera le poste du ministre des Affaires étrangères, puis ils vont échanger les postes. Ce scénario a déjà été appliqué auparavant en 1986 à 1990 lors du gouvernement d’union nationale à l’époque de Shimon Pérès et YitzhakShamir, une option qui a toujours été rejetée par Netanyahu. Cependant, avec Liberman, l’équation est plus difficile, car il ne va pas présenter des concessions, il peut même mener le pays à de nouvelles élections.
En fait, l’éloignement de Netanyahu va changer la donne et modifier les équations de la vie politique israélienne. Le camp de la droite ne sera plus aussi fort comme il l’était à l’époque de Netanyahu, car Liberman comme Gantz refusent de s’allier avec les partis d’extrême droite et les partis ultra-orthodoxes. Désormais, la droite modérée a le choix de s’allier soit avec Liberman soit avec Gantz. Autre scénario, une alliance Liberman-Gantz. Bref, les camps rivaux peuvent parvenir à un accord tacite pour éloigner Netanyahu de son poste puis partager le pouvoir entre eux.
— Et quelle est la place des Arabes israéliens dans tous ces calculs ?
— Pour Gantz, une coopération avec la liste arabe est une vraie aventure car cette alliance sera très fragile, et dès la première décision ou le premier projet de loi contre les Arabes, le gouvernement va voler en éclats car les Arabes israéliens vont se retirer. Ce sera donc un gouvernement mort-né. De même, pour tout premier ministre, former un gouvernement avec les Arabes, c’est prendre le risque de jouer avec son avenir politique car les partis israéliens refusent toute véritable intégration des Arabes dans la vie politique. Une telle alliance peut même lui valoir des accusations de soutien au terrorisme.
Quoi qu’il en soit, outre les jeux d’alliances, le futur gouvernement devra faire face à un important défi: la crise économique engendrée par le coronavirus. Si la crise s’aggrave, on peut se diriger vers ce scénario: un gouvernement avec Gantz et le Likoud mais sans Netanyahu .
Lien court: