Al-Ahram Hebdo : Comment évaluez-vous le résultat des élections législatives iraniennes, qui ont eu lieu après trois soulèvements, et est-il conforme aux attentes ?
Mohammed Mohsen Abo El-Nour: Il n’y a aucune surprise dans ce résultat. La victoire, et donc le retour en force des conservateurs, était attendue, avec la disqualification massive des candidats réformateurs et de toute voix d’opposition.
— Pourquoi et comment ces candidatures d’opposition ont-elles été disqualifiées ?
— Le Conseil des gardiens de la Constitution, dirigé par le guide suprême, Ali Khamenei, a voulu supprimer toutes les voix d’opposition dans ces élections législatives, de peur que les Etats-Unis ne les exploitent dans leurs conflits avec l’Iran et n’imposent plus de sanctions contre le régime iranien. C’est ainsi qu’avant le vote, des milliers de candidatures du camp des réformateurs, de l’opposition et des technocrates ont été invalidées, soi-disant 90%. Selon les chiffres officiels, 7296 demandes de candidature ont été invalidées par le Conseil des gardiens de la Constitution. Toujours selon les chiffres officiels, le taux de participation à ces élections législatives était de 42%. Un mauvais chiffre si l’on considère combien l’Iran était fier du taux de participation lors des scrutins précédents, qui dépassait les 70% et 80%, un pourcentage plus élevé que celui de démocraties comme la France, par exemple. 42%, c’est la moitié des taux de participation précédents, et ce pourcentage, qui serait encore plus bas selon les chiffres des instances neutres, révèle le manque de popularité du régime iranien, même si l’on prend en compte la crainte du coronavirus, qui a empêché certains électeurs de sortir pour se rendre aux urnes. Le régime a perdu beaucoup de sa popularité à l’intérieur. Déçus par le président Rohani, les gens ont perdu l’espoir d’une réforme, que ce soit par les réformateurs, les pragmatistes ou les nationalistes, qui n’ont pas su répondre aux demandes du peuple en ce qui concerne le combat contre la corruption et la crise économique et politique. En outre, la réaction des autorités sécuritaires lors des manifestations de janvier a été violente, causant des morts parmi les rangs des manifestants. Ce qui a attisé encore ce mécontentement, c’est l’éviction des candidats modérés. Tout cela a fait perdre son élan au processus électoral ainsi que sa capacité à attirer les électeurs aux bureaux de vote.
— Comment le résultat des élections se répercutera-t-il sur la relation entre le parlement et le président Hassan Rohani ?
— Rohani affrontera beaucoup de difficultés avec ce nouveau parlement pendant le temps qui lui reste à la présidence du pays. Les tendances de Rohani sont contraires à celles des chefs des blocs de conservateurs, à leur tête Mohammad Bagher Ghalibaf, qui deviendra probablement le chef du parlement. Quant au parlement, fait pour servir les buts du régime et du guide suprême Khamenei et soutenir aussi Ibrahim Raissi, le successeur présumé de Khamenei, il aura la lourde tâche de convaincre les gens, l’opposition, les partis politiques et les centres de recherche qu’il est un vrai parlement, élu par le peuple. En ce qui concerne les relations extérieures, ce même parlement doit s’attendre à des difficultés avec la communauté internationale.
— Quelle sera la position du parlement concernant les dossiers les plus chauds, comme celui du nucléaire ?\
![Mohammed Mohsen Abo El-Nour Mohammed Mohsen Abo El-Nour](https://french.ahram.org.eg/Media/News/2020/2/24/2020-637181655447791452-779.jpg)
Le taux de participation aux éléctions législatives
en Iran était
de 42 %
(Photo:AFP)
— Ce parlement considère que le dossier nucléaire est à peu près annulé. Si, théoriquement, l’Iran ne s’est pas retiré directement du contrat, dans la pratique et selon les derniers rapports de l’Agence internationale de l’énergie atomique, le pays a violé l’esprit et les dispositions de l’accord.
— Et quel impact sur les relations déjà tendues avec les Etats-Unis ?
— Les relations avec Washington connaîtront une nouvelle escalade avec ce parlement conservateur, qui fait de l’Iran un bloc dur contre les Etats-Unis, d’autant plus que Mohamad Bakr, élu à la tête du bloc de Téhéran, composé de 30 sièges, est l’un des plus intransigeants contre les Américains. Je pense donc qu’au cours des prochains temps, nous verrons une escalade entre Téhéran et Washington, mais sur une scène non iranienne, à savoir l’Iraq.
— Vu le rôle de l’Iran dans la région, notamment au Yémen, le retour des conservateurs va-t-il changer quelque chose ?
— Le soutien iranien aux Houthis se poursuivra, puisque les conservateurs qui ont, dès le début de la crise, approuvé l’intervention iranienne au Yémen, dominent le parlement. Si l’on suit les déclarations des responsables iraniens conservateurs, on voit que le soutien iranien au Yémen pour les Houthis en Iraq et au Liban ne s’arrêtera pas malgré les sanctions.
— Avec toutes ces tensions, comment voyez-vous l’avenir de la scène politique en Iran ?
— Dans tous les cas, je pense que le régime iranien risque beaucoup avec un tel parlement et que cela laisse présager des situations et des bras de fer très durs .
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