L’obtention de la citoyenneté indienne est permise pour les réfugiés d’Afghanistan, du Bangladesh et du Pakistan, à l’exception des musulmans : c’est ce qu’a stipulé la loi sur la citoyenneté adoptée le 11 décembre dernier par le parlement indien et qui a suscité la contestation de milliers d’Indiens qui manifestent, depuis, à travers le pays. Des manifestations souvent émaillées de violences et qui ont fait une vingtaine de morts et des milliers d’arrestations. La contestation a débuté dans le nord-est de l’Inde, en particulier l’Etat de l’Assam, qui se sent particulièrement visé par cette nouvelle loi, car elle favoriserait, selon la population locale, l’immigration illégale du Bangladesh voisin. Des rassemblements ont ensuite vu le jour un peu partout à travers le pays. La répression violente d’une manifestation dans une université réputée de New Delhi le 15 décembre a marqué un tournant. L’opposition politique a dénoncé une « répression brutale » des manifestants par le pouvoir nationaliste hindou qui a multiplié les mesures de couvre-feu, de fermeture de commerces et d’ateliers et de blocage d’accès à Internet pour tenter d’étouffer la contestation.
Au pouvoir depuis 2014 et reconduit avec une victoire sans appel aux législatives en mai 2019, le parti nationaliste hindou, le BJP, fait face à son premier grand mouvement de contestation. Le puissant premier ministre, Narendra Modi, a tenté dimanche 22 décembre de rassurer les musulmans de son pays. « Les musulmans, qui sont les fils du sol indien et dont les ancêtres sont les enfants de notre mère patrie, n’ont pas à s’inquiéter », a lancé Modi lors d’un meeting à New Delhi. Des paroles qui n’ont pas de grand écho puisque les manifestations se poursuivaient dans plusieurs villes. Narendra Modi a accusé le principal parti d’opposition indien, le parti du Congrès, d’indulgence vis-à-vis des violences et de « répandre des rumeurs selon lesquelles tous les musulmans seront envoyés dans des camps de détention ». « Toutes ces histoires à propos de camps de détention sont des mensonges, des mensonges, et des mensonges ! », s’est-il exclamé.
Bien qu’elle ne concerne pas directement les Indiens de confession musulmane — 14 % de la population, soit environ 200 millions de personnes sur 1,3 milliard —, la nouvelle loi sur la citoyenneté a cristallisé la peur et la colère de cette communauté. Depuis l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi, la société indienne connaît la propagation et la banalisation d’un discours ethno-religieux reposant sur une idéologie de la suprématie hindoue, dans laquelle ses détracteurs voient un danger pour la diversité indienne. Des villes et rues aux noms musulmans ont été rebaptisées ces dernières années pour leur donner une appellation plus « hindoue ». Dans le même temps, des milices hindoues autoproclamées ont lynché plusieurs dizaines de personnes au nom de la défense de la vache sacrée, principalement des musulmans.
En août dernier, New Delhi a révoqué de force le statut d’autonomie du Cachemire, seule région à majorité musulmane d’Inde. Et en novembre, la Cour suprême a autorisé la construction d’un grand temple hindou à Ayodhya, sur l’emplacement d’une mosquée démolie en 1992 par des zélotes hindous. Cette destruction avait entraîné l’une des pires vagues de violence de l’histoire de l’Inde indépendante. Dans ce contexte, la loi sur la citoyenneté, qui facilite la naturalisation de réfugiés à condition qu’ils ne soient pas musulmans, semble avoir été la goutte qui a fait déborder le vase.
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