Crash ou attentat terroriste? La question n’est toujours pas tranchée. Bien que les responsables français l’aient démenti, le groupe terroriste Daech a affirmé jeudi 28 novembre avoir provoqué, le 25 novembre, la collision entre deux hélicoptères français dans laquelle 13 soldats français ont trouvé la mort au Mali. Daech a également affirmé avoir tendu une embuscade à un convoi de soldats français dans la région de Ménaka, et que des affrontements ont éclaté. Information démentie par le général François Lecointre, chef d’état-major des armées françaises, sur RFI, vendredi 29 novembre. Selon l’armée française, les deux hélicoptères avaient été appelés en appui de commandos parachutistes engagés dans un secteur où la force antidjihadiste française Barkhane mène des opérations contre les groupes armés, dont le groupe Daech au Grand Sahara (EIGS).
Suite à cet incident, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a demandé « plus d’action politique » au Sahel tout en appelant le Mali et le Burkina Faso à agir davantage au plan politique pour rétablir la stabilité sur des territoires secoués par les violences djihadistes et intercommunautaires. « Notre détermination à lutter contre le terrorisme au Sahel est intacte », a-t-il affirmé mercredi 27 novembre. Le chef de la diplomatie française a insisté sur l’importante d’une action « globale », qui intègre à la fois les initiatives militaires de la force Barkhane, les actions de stabilisation et de formation menées par d’autres forces, l’action humanitaire mais surtout, a-t-il insisté, « plus d’action politique au Mali pour que les engagements pris soient respectés, pour que la mise en oeuvre de ce qu’on appelle le DDR (Désarmement, Démobilisation et Réintégration) soit réellement acté, que les accords d’Alger, y compris dans la partie décentralisation, soient réellement mis en oeuvre, que l’Etat malien revienne à Kidal et qu’il y ait une volonté commune affichée contre le terrorisme », a souligné Le Drian.
Plusieurs volets
Quelle qu’en soit la cause, l’incident qui a eu lieu au Mali a provoqué une grande polémique sur l’efficacité des forces antiterroristes dans la région du Sahel, à leur tête la force conjointe du G5 Sahel (cadre institutionnel formé en 2014 par la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad, pour lutter contre le terrorisme), d’autant plus que cette région fait face à une recrudescence des attaques terroristes contre les populations civiles et les positions des forces de défense et de sécurité.
En fait, il existe plusieurs volets importants dans la lutte antiterroriste dans la région du Sahel. D’abord, la double problématique des forces étrangères et du G5 Sahel et de son efficacité. Pour ce qui est des premières, un des obstacles auxquels font face ces forces, notamment la force française Barkhane, est le rejet apparemment grandissant chez les populations locales. « La culture locale rejette toute intervention étrangère, synonyme de néocolonialisme. Dans ce contexte aggravé par les conditions socioéconomiques, les groupes djihadistes parviennent à embobiner les jeunes », explique Amira Abdelhalim, chercheuse au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram et spécialiste dans les questions africaines. C’est pourquoi, pense-t-elle, une approche plus générale basée sur le développement, la lutte contre la pauvreté, l’analphabétisme et l’extrémisme est nécessaire. « Des milliers de pêcheurs et d’agriculteurs ont perdu leur gagne-pain à cause du changement climatique, avec cette situation et en l’absence de solutions gouvernementales, certains jeunes n’ont d’autre choix que de s’affilier aux groupes terroristes », ajoute-t-elle.
Pour ce qui est du G5, dont la création exigeait un temps et un processus de mise en place, un dispositif organisationnel et opérationnel ainsi que des moyens à mobiliser, il reste peu efficace. La stratégie de lutte contre le terrorisme de cette force repose sur deux piliers trop lourds à mettre en place: d’une part, le renforcement des capacités opérationnelles des forces de défense et de sécurité et la mise en place de la force conjointe du G5 Sahel et, d’autre part, des investissements structurants pour le développement durable des zones exposées à la radicalisation. Quatre ans après ces bonnes intentions, le G5 reste incapable d’apporter une contribution véritable à la réduction du terrorisme dans les pays concernés. Même le quartier général de la force conjointe du G5 Sahel à Sévaré, au Mali, a été touché par des attaques terroristes qui ont contraint l’organisation à le déplacer à Bamako.
Manque de financement
Mais pourquoi cette défaillance? Selon des dirigeants africains de cette région, la communauté internationale n’accomplit pas son rôle, notamment en matière de financement. « On nous écoute avec politesse, avec un petit sourire entendu, mais à l’arrivée il n’y a pas grand-chose », a déploré Ibrahim Boubacar Keïta, le président malien, en marge du Forum sur la paix, le 12 novembre dernier, à Paris. « En face de nous, nous avons des gens déterminés qui ont des ressources dans une guerre asymétrique à laquelle nos forces ne sont pas préparées », a ajouté le président malien. En quelques mots, « nous nous sentons comme esseulés ». Le dirigeant africain a profité de son passage en France pour expliquer que les financements annoncés par la communauté internationale destinés à lutter contre le terrorisme dans le Sahel n’étaient toujours pas parvenus dans les caisses de la force conjointe du G5 Sahel. La ministre française des Armées, Florence Parly, a de son côté regretté que l’Arabie saoudite tarde à verser l’aide financière promise (100 millions d’euros) pour l’équipement du G5 Sahel. Les Etats de la région réclament aussi régulièrement le versement des 414 millions d’euros annoncés.
Or, dans la région, le tableau n’est pas reluisant. La menace qui s’est élargie, passant d’une menace cantonnée depuis 2011 avec la déstabilisation de certains pays à la « migration » des groupes terroristes, a débuté au Mali, au Burkina Faso et au Niger, englobant également la zone devenue refuge des insurgés. « L’instabilité dans certains pays voisins comme la Libye influence gravement la situation sécuritaire dans les pays du Sahel et constitue un grand défi devant tout effort antiterroriste, puisque les groupes armés trouvent dans ce pays instable et sans contrôle tous les moyens de s’armer, de s’entraîner et de se financer », explique Amira Abdelhalim. Et de conclure: « Quand bien même le G5 ou les autres forces seront efficaces, cela reste insuffisant, les solutions militaires à elles seules ne suffisent jamais à mettre fin au terrorisme » .
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