Al-Ahram Hebdo : Plus d’un mois après son déclenchement, la contestation se poursuit au Liban, tout comme l’impasse politique. Pourquoi les consultations parlementaires n’ont-elles pas encore commencé et comment former un gouvernement capable de désamorcer la crise ?
Mona Soliman : Même si le premier ministre, Saad Hariri, a démissionné pour répondre aux revendications des manifestants, la liste de ces revendications est longue. La première difficulté est la formation d’un nouveau gouvernement. On sait que cela prendra beaucoup de temps. Le gouvernement sortant a été formé après 8 mois de consultations difficiles et au prix de concessions. Or, maintenant, on est conforté à une situation plus compliquée. Les députés n’arrivent même pas à se mettre d’accord sur une date pour commencer leurs consultations pour choisir un premier ministre. Les partis sont divisés en deux fronts et chacun d’eux campe sur sa position. Le premier camp (incluant le Courant du futur de Hariri, le Parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt et les Forces libanaises de Samir Geagea) veut un gouvernement de technoctrates à même de trouver des solutions aux crises que traverse le pays. L’autre camp (incluant le Courant patriotique libre du président Michel Aoun, dirigé par Gebran Bassil, le mouvement Amal de Nabih Berri et le Hezbollah) veut un gouvernement de politiciens choisis sur la base des résultats des dernières législatives, pour qu’ils puissent conserver leurs acquis. Le président Michel Aoun soutient cet avis. Quant aux protestataires, qui poursuivent leur mouvement pour faire pression sur la classe politique, ils veulent des personnes de bonne réputation et capables de trouver des solutions à leurs problèmes. La communauté internationale n’intervient pas pour régler la crise et Washington soutient l’actuel régime.
— En Iraq, on a l’impression que la seule chose qui change jour après jour est le nombre de victimes. Pourquoi rien de sérieux n’est fait pour calmer l’opinion publique ?
— Malheureusement, la communauté internationale fait la sourde oreille malgré le nombre des morts qui augmente chaque jour. Elle n’intervient pas pour arrêter ce bain de sang. Du côté de la classe politique, chaque camp ne veut pas faire de concessions ou perdre ses avantages. Il y a des tractations pour changer le premier ministre, rien de plus. Or, ce n’est pas suffisant pour calmer la rue, qui veut changer le régime parlementaire par un régime présidentiel. Les manifestants ne veulent pas que les dirigeants soient choisis en fonction de leur appartenance communautaire. Ils veulent surtout améliorer leurs conditions de vie, trouver des solutions pour régler la crise économique, arrêter la corruption, empêcher l’intervention iranienne dans leur pays et ouvrir des enquêtes sur la répression féroce. Pour se défendre, le gouvernement iraqien a annoncé que ce ne sont ni les forces armées ni la police qui interviennent pour réprimer la contestation et que ce sont les milices du Hachd Al-Chaabi, la coalition des paramilitaires chiites pro-Iran, qui sont accusées de commettre tous les meurtres et les arrestations. Mais ceci ne peut qu’attiser le sentiment anti-iranien.
— Dans ces deux pays, l’influence iranienne est pointée du doigt. Pensez-vous que la crise interne que traverse l’Iran puisse avoir des incidences sur ces deux pays dans la mesure où les alliés de Téhéran en Iraq et au Liban risquent d’être affaiblis ?
— En effet, l’Iran fait face à une crise économique aiguë et c’est à cause de cette crise que les gens sont descendus dans la rue. Ces difficultés économiques risquent d’obliger Téhéran à diminuer ses aides financières versées à ses alliés régionaux. Mais en même temps, Téhéran veut renforcer son influence dans la région, surtout sur ces deux pays où il est bien implanté, d’autant plus qu’il est en perte d’influence en Syrie et au Yémen. Dans ce pays, le coût est beaucoup trop élevé pour Téhéran. Mais en Iraq et au Liban, le coût financier n’est pas si élevé. Par exemple, le Hezbollah possède ses propres fonds et a plusieurs moyens pour gagner de l’argent. Quant à l’Iraq, l’influence iranienne est très forte, notamment parce que l’Iraq est à majorité chiite. En plus, l’Iran profite des ressources iraqiennes et pas le contraire, l’économie et le commerce iranien dépendant de ceux iraqiens. L’Iran utilise les ports iraqiens pour exporter ses produits et échapper des sanctions. L’influence iranienne dans ces deux pays est bien forte et Téhéran n’est pas prêt à s’en défaire, d’autant plus qu’il veut garder certaines cartes de jeu dans ses mains pour qu’il puisse faire pression sur la communauté internationale.
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