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Quand Washington nargue Bagdad

Abir Taleb avec agences, Mardi, 26 novembre 2019

Dans une visite surprise en Iraq pour célébrer le Thanksgiving avec les troupes américaines, le vice-président américain, Mike Pence, n’a rencontré aucun responsable iraqien. Il s’est en revanche rendu à Erbil. Un geste vu d’un mauvais oeil par Bagdad et qui prouve que les relations entre les deux pays ne sont pas au beau fixe.

Quand Washington nargue Bagdad
Mike Pence, lors de sa rencontre avec le président de la région du Kurdistan, Netchirvan Barzani.

C’est une drôle de visite qu’a effectuée le vice-président américain, Mike Pence, en Iraq samedi 23 novembre. Une visite de quelques heures seulement, la première de Mike Pence en tant que vice-président, et au cours de laquelle il n’a rencontré aucun responsable iraqien. M. Pence a célébré la fête de Thanksgiving avec les troupes américaines sur la base de Aïn Al-Assad, dans la province occidentale d’Al-Anbar. Une tradition. Il y a près d’un an aussi, le président Donald Trump lui-même avait fêté Noël sur la base de Aïn Al-Assad, et n’avait ni rencontré aucun officiel ni fait le déplacement jusqu’à Bagdad, à 200 kilomètres de là. Les responsables viennent et repartent comme ça, tout simplement, juste pour rencontrer les leurs. Mais ce n’est pas tout. Mike Pence n’a pas fait le déplacement à Badgad, mais il s’est rendu à Erbil, la capitale du Kurdistan iraqien, où il a rencontré les responsables kurdes et où il a assuré le président de la région autonome, Netchirvan Barzani, et son premier ministre, Masrour Barzani, de sa « gratitude » et de sa « détermination à continuer à se tenir aux côtés des alliés kurdes », selon un responsable américain.

Ce qui n’a pas manqué d’irriter certains Iraqiens. Du côté de l’opposition, les réactions ne se sont pas fait attendre. La liste d’opposition de l’ex-premier ministre Haider Al-Abadi a rappelé, dans un communiqué, que « Bagdad est la capitale de l’Iraq, pas Erbil », dénonçant une visite « sans respect pour la souveraineté » iraqienne. Et Rayan Al-Keldani, patron de l’une des très rares factions chrétiennes du Hachd Al-Chaabi, la coalition des paramilitaires chiites pro-Iran, a apostrophé sur Twitter M. Pence, l’accusant de venir « furtivement » en Iraq. « Vous n’êtes pas le bienvenu sur le sol iraqien ! », a-t-il écrit.

Les relations avec l’Iran en toile de fond

Quant aux autorités iraqiennes, leur réaction a certes été moins virulente, mais elle a tout de même montré leur mécontentement. Interrogé par l’AFP, un porte-parole de la présidence iraqienne à Bagdad a même affirmé ne pas avoir été informé de la visite de M. Pence, qui intervient dans un contexte de crise. Les autorités fédérales de Bagdad ont donc dû se contenter d’un appel téléphonique, car M. Pence « ne pouvait pas aller à Bagdad pour des raisons de sécurité », a dit un responsable américain. Il a ainsi appelé le premier ministre, Adel Abdel-Mahdi, depuis la base de Aïn Al-Assad, l’exhortant à « se dissocier de l’Iran », selon ce même responsable.

Voilà qui est dit. Car c’est là toute la question. Si les relations entre Bagdad et Washington ne sont pas au beau fixe, c’est justement à cause de l’Iran. Pour preuve, le premier ministre iraqien, Adel Abdel-Mahdi, au pouvoir depuis 13 mois et jugé « trop proche » de l’Iran par Washington, n’a toujours pas pu se rendre aux Etats-Unis où sa visite annoncée depuis des mois ne cesse d’être repoussée.

Les Etats-Unis et l’Iran, ennemis jurés, sont tous deux des alliés de l’Iraq. Mais les relations entre Washington et Bagdad se sont distendues depuis la victoire contre le groupe djihadiste Daech, en Iraq en 2017. Une victoire qui a été rendue possible tant par l’appui américain que par celui iranien, les milices que Téhéran soutient et arme ayant elles aussi contribué à la guerre contre le groupe terroriste. Or, aujourd’hui, Washington voit d’un mauvais oeil le fait que Bagdad et Téhéran soient trop proches, notamment en cette période de crise que traverse l’Iraq, où un mouvement de contestation se poursuit sans relâche depuis début octobre.

Face à ce mouvement, Washington est resté presque muet et semble désormais sur la touche politiquement dans ce pays. Et alors que la rue réclame la refonte du système politique installé après 2003 par les Américains et désormais totalement investi par l’Iran, cette grande puissance agissante en Iraq, à savoir les Etats-Unis, reste quasi silencieuse. Une attitude qui signe, affirment les experts, le déclin de l’influence des Américains en Iraq, et même leur désintérêt pour le pays où l’Iran a, depuis des années, « coopté des dirigeants, payé des agents iraqiens et infiltré tous les aspects de la vie politique, économique et religieuse de l’Iraq », selon une récente fuite de documents du renseignement iranien.

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