Pas besoin de courir dans tous les sens: nous allons vous renvoyer les membres de Daech. Ils sont à vous, faites-en ce que vous voudrez ». C’est ce qu’a déclaré le ministre turc de l’Intérieur, Süleyman Soylu, vendredi 8 novembre. Le renvoi de ces djihadistes incarcérés dans les prisons turques a commencé, selon Ankara, dès lundi 11 novembre. Le ministre de l’Intérieur avait auparavant précisé que ces combattants seraient renvoyés dans leurs pays d’origine même si ces derniers leur ont retiré leur nationalité. Mais il n’a parlé ni des modalités d’une telle opération, ni des pays concernés. De même, il n’est pas clair comment la Turquie pourrait s’y prendre pour rapatrier une personne dans un pays dont elle ne serait plus techniquement une ressortissante. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a, lui, affirmé, vendredi 8 novembre, que la Turquie avait à ce jour extradé plus de 7600 « terroristes étrangers » vers leurs pays, ajoutant que plus de 1200 membres de Daech étaient actuellement incarcérés dans des prisons turques.
Si Ankara n’a pas précisé quels étaient les pays concernés par cette mesure, il s’est clairement adressé à l’Europe dans son discours. Ankara appelle régulièrement les pays européens à reprendre leurs ressortissants qui ont intégré les rangs de Daech en Syrie, mais ceux-ci sont bien peu enclins à les récupérer, notamment pour des raisons sécuritaires et d’impopularité d’une telle mesure. Le sort des anciens soldats de Daech, enfermés en Iraq, avec les Kurdes ou en Turquie, est en effet pris avec beaucoup de pincettes par les capitales occidentales.
Parallèlement, lors d’une visite en Hongrie jeudi 7 novembre, Erdogan a de nouveau menacé « d’ouvrir les portes » de l’Europe aux réfugiés syriens installés en Turquie, exhortant la communauté internationale à soutenir son projet d’en rapatrier une partie en Syrie. « Avec ou sans soutien, nous allons continuer à accueillir nos hôtes, mais seulement jusqu’à un certain point (...). Si nous constatons que cela ne fonctionne pas, nous n’aurons pas d’autre choix que d’ouvrir les portes » vers l’Europe, a-t-il déclaré. La Turquie accueille plus de 4 millions de réfugiés, dont quelque 3,6 millions de Syriens ayant fui le conflit qui déchire leur pays depuis 2011. « Il est possible qu’un grand nombre d’entre eux migrent en Europe », a insisté le président turc. Concrètement, il veut que la communauté internationale participe au financement de la construction d’une ou de plusieurs nouvelles villes dans la zone où Ankara a lancé son opération en Syrie. Erdogan a affirmé qu’il avait parlé de son projet au chef de l’Onu, Antonio Guterres, qu’il appelle à organiser un sommet pour récolter des fonds, et que ce dernier avait promis d’y travailler.
C’est donc une double carte de pression, une instrumentalisation de la question des djihadistes et de celle des migrants, une forme de chantage somme toute. Un chantage qui intervient alors que les relations entre Ankara et les Occidentaux sont mises à mal depuis l’offensive que les Turcs ont lancée dans le nord de la Syrie il y a un mois pour y déloger les YPG, miliciens kurdes considérés comme des terroristes par la Turquie. Les Européens accusent la Turquie d’aggraver l’instabilité de la Syrie et de compliquer la lutte contre le reste des troupes de Daech par cette opération, alors que les Turcs accusent les Européens de « se ranger aux côtés des terroristes kurdes ».
Erdogan multiplie donc les manoeuvres à la veille de plusieurs rencontres cruciales: un sommet avec le président américain, Donald Trump, ce mercredi à Washington, un autre, quadripartite, entre Recep Tayyip Erdogan, son homologue français, Emmanuel Macron, le premier ministre britannique, Boris Johnson, et la chancelière allemande, Angela Merkel, décembre 2019; et enfin, le sommet de l’Otan — qui traverse une zone de turbulence également à cause de l’offensive turque en Syrie—, prévu pour les 3 et 4 décembre prochain .
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