Après avoir été absent de ses priorités pendant plusieurs années, le continent africain est désormais au premier plan des intérêts de la Russie. Désirant élever ses ambitions en Afrique et concentrer ses efforts sur les domaines où elle a un avantage compétitif comme la question du nucléaire, des hydrocarbures et de l’industrie minière, la Russie de Valdimir Poutine a ainsi acceuilli en grande pompe le premier Sommet Russie-Afrique, à Sotchi, les 23 et 24 octobre, sur la mer Noire. Poutine a accueilli 43 chefs d’Etat et de gouvernement de la région, soit bien au-delà des zones traditionnelles d’implantation russes en Afrique du Nord et en Afrique australe.
Parallèlement au sommet, un Forum économique Russie-Afrique, rassemblant ministres, hommes d’affaires, chefs d’entreprise et représentants de la communauté d’experts russes et africains, s’est tenu. Les discussions ont porté sur les moyens de développer les relations économiques et d’encourager la création de projets communs dans les domaines de l’infrastructure, de l’industrie, de l’agriculture, de la santé, de l’énergie et des applications technologiques modernes. Des accords afro-russes d’une valeur de 12,5 milliards de dollars ont été conclus, et des promesses d’investissements russes de 190 millions de dollars dans divers projets d’infrastructure en Afrique ont été faites. De même, Moscou a dit envisager de doubler ses échanges commerciaux avec l’Afrique au cours des cinq prochaines années (le volume des échanges commerciaux russo-africains a atteint environ 20 milliards de dollars en 2018).
Autre décision importante, la mise en place de nouveaux modèles de développement entre la Russie et les pays africains. Concrètement, il s’agira d’établir des relations plus poussées consistant à développer l’ensemble des infrastructures, des industries, de la santé, de l’énergie et de la mise en place d’une technologie de pointe dans les TIC. Il a été acté que ces assises se tiendraient désormais tous les trois ans. Les chefs d’Etat et de gouvernement ont en outre sollicité le soutien de la Russie pour l’attribution à l’Afrique d’un poste permanent au Conseil de sécurité de l’Onu.
Avant même la tenue du sommet, le président russe avait assuré, dans un entretien à l’agence TASS le 21 octobre, que son pays était prêt à « entrer en compétition » avec d’autres puissances, et à investir « des milliards de dollars en Afrique ».
En fait, c’est après la chute de l’ex-URSS, en 1990, que Moscou a commencé à se désengager de l’Afrique. Signant en 1992 la fin de son ambitieuse politique africaine de la Guerre froide, Moscou annonçait alors la fermeture de neuf ambassades, de quatre consulats ainsi que des délégations commerciales et des antennes du KGB (comité pour la sécurité de l’Etat russe) sur le sol africain. Depuis, la coopération avec les entités régionales telles que l’Union Africaine (UA) ou la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) est à peu près absente, rien n’est dit concernant les relations bilatérales. De plus, l’Afrique est reléguée loin d’autres aires géographiques, comme le Moyen-Orient, l’Europe ou l’Asie.
Pourquoi donc ce soudain intérêt de la Russie à l’Afrique? A partir de 2013-2014, la crise ukrainienne a eu un effet accélérateur, Moscou cherchant des voies alternatives pour exister dans des zones qu’elle avait délaissées. Mais toujours avec une présence limitée. Et même si les échanges commerciaux entre les deux entités se sont élevés à 20 milliards de dollars l’année dernière, ce chiffre constitue dix fois moins que la Chine. La majorité du commerce concerne les ventes d’armes, rare domaine dans lequel la Russie est en tête en Afrique.
Pour Moscou, il y a aussi un autre enjeu : au moment où la Russie tourne le dos à l’Occident, il convient de montrer que les alternatives existent. Après cinq années de sanctions économiques occidentales, Moscou a besoin de partenaires et de débouchés pour conjurer sa croissance faible. Par ailleurs, dans un contexte de tensions exacerbées avec les pays occidentaux, le Sommet de Sotchi était aussi l’occasion pour la Russie, après son grand retour au Moyen-Orient à la faveur de ses succès syriens, de montrer qu’elle est une puissance d’influence mondiale .
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