Le coup de gueule de Chirac, le 22 octobre 1996, à Jérusalem, lui vaut la sympathie des Arabes.
S’il est un dirigeant occidental qui a marqué le monde arabe comme aucun autre, c’est bien le Français Jacques Chirac, décédé jeudi 26 septembre. Elu président de la République française la première fois en 1995, Jacques Chirac entreprend, dès l’année suivante, une grande tournée diplomatique de huit jours au Proche-Orient: Syrie, Israël, Territoires palestiniens, Jordanie, Liban et Egypte. Un voyage qui marque le retour de la France dans la région d’autant plus que Jacques Chirac est alors perçu comme plus favorable à la cause arabe que son prédécesseur, François Mitterrand. Et quel retour! Cette visite restera surtout gravée dans la mémoire collective arabe en raison du fameux incident qui a eu lieu un certain 22 octobre 1996 dans les rues de Jérusalem. Le climat est électrique, les soldats israéliens sont omniprésents, ils bousculent les journalistes et empêchent les commerçants arabes de nouer un contact avec le président français dans la Vieille ville, l’empêchant de déambuler à sa guise, afin de saluer les Palestiniens. Beaucoup trop pour l’ancien chef d’Etat français qui se laisse aller à un coup de sang mémorable et s’emportant violemment contre les forces de l’ordre israéliennes: « This is provocation. Please you stop now ! » (ceci est de la provocation, arrêtez !).
Un véritable coup d’éclat. La scène, omniprésente dans les médias, va construire la légende de Jacques Chirac dans le monde arabe, va presque faire de lui un héros. Le lendemain, d’ailleurs, il est accueilli en triomphe à Ramallah et dans les Territoires occupés ...
Les Palestiniens n’ont jamais oublié cette scène, emblématique de la politique de Chirac pour ce qui est du processus de paix. Mais si ce dernier plaide pour une paix juste au Proche-Orient, son action se heurte à la réalité des choses: lorsque débute la deuxième Intifada palestinienne en 2000, le dirigeant français multiplie les initiatives. Mais elles restent sans effet sur le déchaînement de la violence. Jacques Chirac ne parviendra pas non plus à rompre l’isolement qu’Israël et les Etats-Unis imposent au président palestinien Yasser Arafat. L’homme passe les deux dernières années de sa vie assiégé dans son palais de Ramallah. La France obtiendra finalement le transfert et l’hospitalisation de Yasser Arafat à Clamart, près de Paris, où il s’éteint le 11 novembre 2004.
Des relations spéciales avec le Liban
Au Liban, Chirac joue aussi un rôle décisif dans l’arrêt de l’offensive israélienne contre ce pays en avril 1996, baptisée « Raisins de la colère ». Jacques Chirac — également premier chef d’Etat d’une grande puissance à visiter le Liban après la fin de la guerre civile— dépêche dans la région son ministre des Affaires étrangères de l’époque, Hervé de Charrette, qui réussira à obtenir un cessez-le-feu.
Dès son arrivée à la tête de l’Etat français, Chirac se base sur une constante: la restauration d’une « politique arabe » de la France telle que l’avait voulue le général De Gaulle, dont il se réclamait. Une politique s’appuyant beaucoup sur des relations personnelles avec les dirigeants de la région. C’est notamment le cas avec le Liban, il noue des relations amicales personnelles avec l’ancien premier libanais, Rafik Hariri. L’assassinat de ce grand ami du chef de l’Etat français précipite la fin de la tutelle syrienne au Liban, dont il fut l’un des principaux artisans, notamment après le vote, en 2004, de la résolution 1 559 au Conseil de sécurité qui sacralise la souveraineté et l’indépendance politique du Liban.
Le « Non » à la guerre de l’Iraq
Le nom de Chirac résonnera surtout dans le monde arabe comme l’homme qui a dit « non » à la guerre d’Iraq en 2003, voulue par les Etats-Unis de Georges W. Bush. Et ce, contrairement à son prédécesseur François Mitterrand qui fournit un petit contingent dans la première guerre du Golfe en 1991. Convaincu qu’une guerre déstabilisera la région, il confie à Dominique de Villepin, son ministre des Affaires étrangères, le soin de mener la bataille diplomatique à l’Onu. Chirac brandira la menace d’un veto et cherchera à former un front du refus. C’est à travers un vibrant plaidoyer de son ministre que la France a fait entendre, le 14 février 2003, son opposition à la guerre. Son virulent réquisitoire lui vaut d’être applaudi, pratique assez rare dans cette institution. Le 18 mars de la même année, il déclare : « L’Iraq ne représente pas aujourd’hui une menace immédiate telle qu’elle justifie une guerre immédiate. La France en appelle à la responsabilité de chacun pour que la légalité internationale soit respectée (...). S’affranchir de la légitimité des Nations-Unies, privilégier la force sur le droit, ce serait prendre une lourde responsabilité ». Jacques Chirac n’empêche pas la guerre, qui est déclenchée le lendemain, mais il bat tous ses records de popularité et gagne par ce refus une aura indéniable dans la région.
Chirac « l’Africain »
Chirac s'est rendu dans 40 pays africains, ce qui lui a valu le surnom de « Chirac l'Africain
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En Afrique aussi, l’ancien président français gagne en popularité. Il est un des rares chefs d’Etat français, sinon le seul, à s’être rendu dans près de 40 pays sur le continent et ses liens très étroits avec ces pays lui ont même valu le surnom de « Chirac l’Africain ». Il s’est fait l’avocat de l’Afrique auprès des grandes instances internationales, plaidant par exemple pour l’annulation partielle de la dette et pour le développement, ainsi que pour une plus grande implication des pays riches dans la lutte contre les épidémies comme le paludisme, le sida ou la tuberculose dans le continent noir. Jacques Chirac fera même venir au G8 d’Evian, en 2003, 19 pays émergents. Mais les espoirs d’un plan Marshall pour le développement sont alors douchés, victimes du refroidissement des relations entre Paris et Washington en raison de la guerre en Iraq. « On oublie seulement une chose. C’est qu’une grande partie de l’argent qui est dans notre porte-monnaie vient précisément de l’exploitation, depuis des siècles, de l’Afrique », avoue-t-il dans une interview accordée à la presse après son départ de l’Elysée.
Mais il est tout de même critiqué pour sa conception de l’Afrique parfois jugée « paternaliste », héritée de la Françafrique gaulliste. Une conception qui le pousse à maintenir la spécificité des liens entre la France et ses anciennes colonies en poursuivant la logique du « pré-carré » impulsée par le général De Gaulle. Ses deux mandats présidentiels auront aussi été marqués par un certain nombre d’opérations militaires françaises en Afrique.
Une politique parfois constestée. Mais si certains voient en lui la continuité de la très controversée Françafrique, pour d’autres, Chirac symbolise, malgré tout, l’une des figures emblématiques les plus importantes qui ont contribué à façonner les relations entre la France et l’Afrique .
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