Al-Ahram Hebdo : Nous assistons à la fois à l’envoi de renforts américains dans le Golfe, à un ton belliqueux entre les différentes parties qu’à des efforts de paix et des propositions d’en finir avec le conflit au Yémen. Les choses semblent bouger, mais dans quel sens ?
Mohamed Abo El-Nour : Le président iranien, Hassan Rohani, a évoqué un plan de coopération régionale « endogène » sur la sécurité dans la région, avec l’aide des pays de la région. Les détails de ce plan sont actuellement discutés à l’Assemblée générale de l’Onu à New York. En fait, Téhéran table sur toutes les cartes en même temps. Bien qu’il soit convaincu que l’équilibre militaire n’est toujours en sa faveur, le président iranien a voulu envoyer d’abord un message aux pays du Golfe : c’est que l’Iran est le seul pays qui contrôle les choses dans la région, qui tient les ficelles du jeu et qui est à même de protéger la sécurité régionale au Golfe. En même temps, il veut montrer qu’il est prêt à des négociations. Sans être militairement supérieur, il tend la main pour la paix, car il se base sur sa forte situation actuelle.
— Oui mais d’où provient cette force alors que le pays subit de dures sanctions et que son économie souffre ?
— En ce moment, malgré tout, l’Iran est plus fort qu’auparavant. Il n’est pas impliqué directement dans des guerres comme dans les années 1980 par exemple. Surtout, au cours des dernières décennies, Téhéran a su renforcer son hégémonie régionale à travers des acteurs qu’il contrôle. Sa présence, et donc son influence, dans certains pays de la région est désormais claire, que ce soit en Iraq, au Liban, en Syrie ou au Yémen et même à Gaza. Des pays où les Etats-Unis ont des intérêts. De même, l’Iran contrôle le détroit d’Ormuz. Ce qui est important à savoir, c’est que l’Iran est capable d’infliger d’importantes pertes à ses adversaires sans pour autant que le coût soit élevé pour lui. Par exemple, après l’attaque des installations d’Aramco en Arabie saoudite, la compagnie a été contrainte de baisser sa production de 5 à 6 millions de barils par jour, ce qui se traduit par des milliards de dollars, sans compter les dommages des installations elles-mêmes. Or, les attaques elles-mêmes n’ont pu coûter qu’environ 2 millions de dollars.
— Justement, plus que jamais, l’Iran est perçu comme un acteur-clé dans le conflit yéménite, notamment suite aux récentes attaques revendiquées par les Houthis contre des installations pétrolières saoudiennes suivies par une proposition houthie à faire la paix avec l’Arabie saoudite ?
— D’abord, pour ce qui est des attaques contre les installations pétrolières saoudiennes, l’Iran ne les a pas revendiquées et rien ne les implique directement même si les Saoudiens ont affirmé que les attaques viennent du nord et non du sud et même si tous les indices prouvent que l’Iran est derrière cela. Officiellement, ce sont les Houthis qui les ont revendiquées. Ensuite, pour ce qui est de l’appel de paix lancé par les Houthis, il intervient justement par les Houthis et l’Iran, qui sont en position de force. Si les Houthis sont sérieux dans cet appel, cela veut dire que l’Iran cherche à calmer la tension. Mais il cherche surtout à le faire en se basant sur sa force stratégique actuelle, notamment le contrôle du détroit d’Ormuz.
Mais l’Iran et les Houthis doivent présenter un plan sérieux, une initiative de paix pour que ces appels se transforment en véritable démarche pour la paix.
— Et quelle pourrait être la réaction de l’Arabie saoudite envers cette orientation iranienne vers le calme ?
— Les pays du Golfe, avec à leur tête l’Arabie saoudite, ne vont pas répondre facilement à ces appels. Car pour eux, l’essentiel est de contrer l’hégémonie iranienne dans la région. Ils ont donc besoin de voir que l’Iran — et les Houthis — est sérieux, qu’il y ait des pas concrets, des démarches réelles, tel un retrait houthi de certaines régions du Yémen. Et surtout, moins d’intervention iranienne en Syrie et en Iraq, ou encore l’arrêt des manoeuvres militaires provocantes et celui de l’inspection des navires traversant le Golfe, notamment au détroit d’Ormuz. Sans de telles initiatives sérieuses de la part de Téhéran, les appels à la paix n’auront aucun impact important.
Le contrôle du détroit d'Ormuz est au centre du tiraillement. (Photo : Reuters)
— Qu’en est-il de l’annonce des Etats-Unis de l’envoi de renforts militaires dans la région ? Peut-il changer la donne ?
— Cette fois-ci, la position américaine paraît ferme et décisive. Elle aura donc un effet significatif sur le conflit dans la région. Actuellement, ce sont les Etats-Unis qui dirigent le plan de défense contre les attaques offensives de l’Iran vers l’Arabie saoudite. Il y a plusieurs enjeux. Il y a la suprématie américaine que Washington veut prouver. Le Pentagone ne permettra jamais que la technologie et le système défensif iraniens (d’origine russe et chinoise) dépassent les capacités américaines. Les Etats-Unis vont ainsi peser de tout leur poids pour qu’ils soient toujours la partie dominante et qu’ils restent à la pointe du marché mondial de l’armement. De son côté, l’Iran tolère mal la présence de n’importe quelle force étrangère dans le Golfe.
— Et comment l’Iran va-t-il donc réagir ?
— A mon avis, l’Iran ne va pas répondre immédiatement, il va se taire un certain temps, pour surveiller la situation, ensuite il va avoir recours à l’escalade par de nouvelles attaques.
— Cela veut-il dire que l’option militaire est toujours sur la table ?
— Oui, c’est toujours sur la table mais cela reste peu probable. C’est une option difficile pour toutes les parties, tant régionales qu’internationales. Et si une guerre est déclenchée, personne ne peut savoir où, quand et comment elle va finir et quelles seront ses conséquences.
— Et qu’en est-il des tentatives françaises ? Peuvent-elles apporter quelque chose de concret, notamment à l’Assemblée générale de l’Onu qui se tient cette semaine à New York ?
— Je ne pense pas que les efforts français vont porter leurs fruits. Ce genre d’initiative est certes important, mais je ne pense pas que les Français puissent parvenir à quelque chose au courant de l’Assemblée générale.
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