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Walid Joumblatt : Nous ne voulons pas que le Liban paye le prix du conflit régional

Samar Al-Gamal , Lundi, 09 septembre 2019

En visite cette semaine au Caire, Walid Joumblatt, président du Parti socialiste progressiste et chef de la communauté druze au Liban, revient sur les récentes tensions entre Israël et le Liban, et leurs implications régionales.

Walid Joumblatt

Al-ahram hebdo : Quels sont les résultats de vos discussions avec les responsables égyptiens ?

Walid Joumblatt: Nous avons rencontré d’abord le ministre des Affaires étrangères, Sameh Choukri, mercredi 4 septembre. Jeudi 5, nous avons eu des entretiens avec le président Sissi et le chef des renseignements, Abbas Kamel. L’Egypte est désormais de retour sur la scène régionale et joue son rôle d’antan. Le Caire tient à la stabilité du Liban et de la région, et nous avons besoin du panarabisme égyptien, peut-être pas celui de Nasser car l’histoire n’est pas à refaire, mais sans l’Egypte cette formule n’existe pas. Le Liban doit sortir du carcan confessionnel et instaurer un Etat non sectaire.

— Avez-vous évoqué les récents accrochages à la frontière avec Israël ?

— C’était l’un des sujets de discussion, mais nous avons évoqué aussi l’urgence de parvenir à un règlement en Syrie, en l’intégrité territoriale du pays. Nous voulons un règlement juste et équitable qui permet le retour de 10 millions de Syriens dans leur pays. Nous avons discuté de la question palestinienne et des grandes difficultés auxquelles les Palestiniens sont confrontés. Gaza et plus généralement la Palestine sont la porte de l’Egypte vers l’Orient.

— Selon des sources égyptiennes, Le Caire mène une médiation après les récentes tensions au Liban avec les attaques de drones israéliens et la riposte du Hezbollah, pouvez-vous nous donner plus de détails sur cette médiation ?

— L’Egype a joué un rôle très important pour empêcher une explosion de la situation, en usant de ses contacts régionaux et internationaux. Le Caire possède depuis Camp David, et ce n’est pas un secret, des relations avec Israël. Cette position lui permet de parler aux Israéliens et de travailler pour rétablir le calme. Une nouvelle guerre aurait des répercussions dévastatrices.

— Pourquoi, à votre avis, Israël a-t-il mené cette opération après le calme qui prévalait depuis 2015 ?

— Le premier ministre israélien joue la carte de la mobilisation car les élections israéliennes approchent (les législatives anticipées auront lieu le 17 septembre). C’est sa politique. Lorsque Barack Obama était président des Etats-Unis, Netanyahu a cherché, sans succès, à entraîner les Américains dans une guerre avec l’Iran. Aujourd’hui encore, il fait de la surenchère et veut semer le chaos dans la région.

— Le premier ministre libanais, Saad Al-Hariri, a ouvertement critiqué le Hezbollah dans un entretien à la chaîne américaine CNBC. Il a dit que le Hezbollah n’était pas « un problème libanais, mais un problème régional ». Qu’en pensez-vous ?

— Je suis d’accord avec Saad Al-Hariri. Certes, il a fait beaucoup d’efforts pour contenir la situation à travers ses contacts avec les Russes, les Américains, les Français et les Egyptiens. Mais le Hezbollah est le représentant d’une importante force régionale (l’Iran) et nous ne voulons pas que le Liban paye le prix du conflit entre les pays de la région.

— Pour le président libanais, Michel Aoun, le fait que des drones israéliens prennent pour cible le sud de Beyrouth équivaut à une déclaration de guerre. Qu’en pensez-vous ?

— Certes, c’est une agression israélienne que nous condamnons, mais une déclaration de guerre c’est autre chose. Je tiens à rappeler au général Aoun que l’armistice conclu entre le Liban et Israël en 1949 signifie que nous sommes déjà en état de guerre. D’ailleurs, le président Aoun a lui-même appelé il y a 6 mois à discuter de la stratégie de défense libanaise, c’est-à-dire du fait de savoir qui défend le pays et qui décide de l’état de guerre ou de paix. Il y avait une unanimité autour de cette question à l’époque du président Michel Souleimane, puis le contexte a entièrement changé et depuis, on n’en parle plus.

— Qui détient la décision de la guerre ou de la paix ?

— L’Etat libanais et avec lui, et cela est bien connu, le Hezbollah. C’est pourquoi il faut inclure les armes du Hezbollah dans la stratégie de défense de l’armée libanaise. Et c’est une question qui ne peut être réglée que par le dialogue et par des circonstances régionales favorables.

— Nous avons affaire aux mêmes réactions à chaque fois que le Hezbollah riposte à une attaque israélienne. Pourquoi cette récurrence libanaise de repartir à zéro?

— Parce que la question, comme a dit Saad Al-Hariri, est régionale et apparemment le contexte régional n’est pas adéquat. En même temps, le Liban ne peut pas continuer à servir, avec chaque agression israélienne, d’un champ de bataille et sans avoir son mot à dire.

— Que voulez-vous dire par le contexte régional ?

— La scène est très complexe en Syrie et en Palestine et l’Iran est déjà au bord de la Méditerranée. C’est une importante force régionale à ne pas négliger. Il faut désormais parvenir à un règlement politique de la guerre au Yémen. C’est une usure de la sécurité arabe et son acteur principal est Téhéran. Je crois que les conditions sont adéquates pour discuter d’un accord au moins autour de cette question.

— Quelles questions liées à la Syrie avez-vous soulevées avec les responsables égyptiens ?

— L’essentiel pour nous est le retour des réfugiés, mais cela est impossible tant que les conditions sécuritaires ne le permettent pas, et tant que les villes et les villages détruits n’ont pas été reconstruits. Nous assistons à de vives disputes entre les différentes puissances. A titre d’exemple, la discorde entre la Russie et la Syrie d’un côté et la Turquie de l’autre autour d’Idleb (ndlr: ville du nord-ouest de la Syrie abritant le groupe djihadiste Hayat Tahrir Al-Cham et cible depuis fin avril de bombardements de Damas et de son allié russe) qui accueille 3 millions de réfugiés syriens. Oui, nous comprenons quand on nous parle du terrorisme, mais ces gens où vont-ils aller ?

— Qu’en est-il de la Palestine et du deal du siècle ?

— C’est un mirage dans la tête de Donald Trump et ses conseillers. Ils imaginent que la Palestine et la dignité des Palestiniens peuvent être vendues en échange d’une poignée de dollars, et d’un territoire ailleurs. C’est inacceptable et ce n’est pas une option pour Le Caire, la position de l’Egypte est ferme à ce sujet.

— Si vous deviez établir vos priorités aujourd’hui, laquelle serait en tête de votre liste ?

— Je crois que la première démarche doit être l’union des responsables libanais autour de la question de la stabilité. Nous étions au bord d’une grande crise le mois dernier (affrontements entre factions rivales dans le massif du Chouf) et les médiations ont permis de la désamorcer. Ensuite, il faudrait s’attaquer au dossier économique, réduire le déficit budgétaire et résoudre la crise de l’électricité. Nous pouvons nous inspirer de l’expérience égyptienne et conclure un accord avec Simens sans intermédiaire.

— Que s’est-il passé durant la réunion la semaine dernière des responsables politiques et économiques au palais présidentiel de Baabda pour discuter de nouvelles mesures visant à faire face à la crise économique ?

— J’ai assisté à la rencontre et certaines idées ont été discutées, mais par exemple la question de l’électricité n’a pas été résolue et j’ai appelé durant cette réunion à dévoiler le plan du gouvernement. Ce dossier est basé sur un partenariat entre les secteurs public et privé et il me semble que certains hommes d'affaires qui sont arrivés au Liban ne sont pas intègres et je ne dirai pas un mot de plus.

— Une issue sera-t-elle possible bientôt ?

— Honnêtement, je suis profondément pessimiste. Il faut qu’il y ait une convergence des efforts internationaux et arabes pour penser autrement l

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