Al-Ahram Hebdo : La tension ne cesse de monter dans le Golfe, avec des incidents et des invectives de nature guerrière entre Téhéran et Washington. Un embrasement plus large est-il possible ?
Mohammed Mohsen Aboul-Nour : Le problème majeur à l’heure actuelle est que l’Iran et les Etats-Unis tous deux semblent estimer que l’atmosphère actuelle n’est pas propice à la négociation, surtout du côté iranien. L’Iran n’a pas envie de négocier, car les circonstances et les conditions actuelles ne sont pas en sa faveur. L’Iran subit les conséquences néfastes des sanctions qui lui ont été imposées par Washington, lequel qui vient d’ailleurs d’annoncer de nouvelles sanctions majeures. Et ces sanctions ont épuisé les Iraniens. De nombreuses entreprises européennes se sont pas retirées du marché iranien, notamment celles opérant dans le secteur du pétrole. Cela a de lourdes retombées sur la République islamique.
— Oui, mais l’Iran peut-il prendre le risque de fermer la porte à toute négociation ?
— L’Iran ne veut pas négocier sans conditions préalables, car tout simplement il veut sortir gagnant d’éventuels pourparlers. En fait, il veut trois exigences essentielles : une levée des sanctions imposées par les Etats-Unis, un retour à l’accord nucléaire de 2015, dont le président américain, Donald Trump, s’est retiré il y a plus d’un an, et une compensation des pertes matérielles qu’il a subies à cause des sanctions américaines et qui s’élèvent à des milliards de dollars.
— Cela paraît surréaliste. Sommes-nous donc face à une impasse ?
— En effet, il est impossible que l’Administration américaine accepte ces conditions même si l’Iran s’estime avoir gagné un point après avoir abattu un drone américain, jeudi 20 juin, qui aurait violé l’espace aérien iranien, selon Téhéran. Comme je vous l’ai déjà dit, l’atmosphère générale n’est pas propice à la négociation.
— Ce que vous dites là signifie que l’option du dialogue est quasiment impossible. Cette impasse peut-elle tout simplement conduire à la guerre ?
— L’option militaire est complètement exclue. Les expériences précédentes prouvent qu’un homme d’affaires comme Donald Trump ne va pas s’aventurer dans une nouvelle guerre, d’autant plus que l’Iran résiste dur face aux sanctions qui lui sont imposées. Washington sait parfaitement que le choix militaire n’est ni dans son intérêt, ni dans l’intérêt de la région, ni dans l’intérêt de personne, car la communauté internationale est divisée à ce sujet. Washington est bien conscient qu’en cas de la guerre avec l’Iran, la Russie et la Chine risquent d’intervenir d’une manière ou d’une autre et soutenir l’Iran. Ce qui risque de changer les équilibres mondiaux. En effet, le système international actuel peut changer de sorte que Washington ne sera pas la seule force dominante. La Chine peut exploiter cette situation pour gagner plus d’influence non seulement économique, mais aussi politique et militaire. Et dans un tel cas de figure, une montée de la Chine se fera aux dépens de la domination américaine dans la région.
— Vous dites que l’atmosphère actuelle n’est pas du tout propice à la négociation, en même temps, vous excluez un recours à l’option militaire. Quelle solution donc ?
— Il n’y a aucun doute que le règlement politique est la seule issue pour sortir de cette crise. Certains pays de la région soutiennent certes la ligne dure et la fermeté de l’Administration du président américain, Donald Trump, à l’égard de Téhéran, il n’en demeure pas moins qu’ils sont conscients des dangers d’une éventuelle guerre. Le ministre d’Etat émirati aux Affaires étrangères, Anwar Gargash, vient, par exemple, de déclarer que « les tensions dans le Golfe ne peuvent être abordées que de manière politique (...) par le dialogue et les négociations ». De plus, l’expérience a prouvé qu’avec l’Iran, ce n’est pas sur un ring de boxe que les problèmes sont réglés, mais un échiquier. Les Iraniens sont de fins stratèges, il ne faut pas l’oublier.
— N’y a-t-il pas d’autres moyens de pression sur l’Iran ?
Une marche militaire des Gardiens de la Révolution iraniens. (Photo : AFP)
— Certainement. Les méthodes de pression sur l’Iran sont nombreuses et variées, notamment à travers le soutien des minorités en Iran par certains pays arabes. Les Perses ne comptent que 40 % du peuple, il y a aussi des Turkmènes, les Kurdes et d’autres minorités. Le soutien à ces minorités agace fortement l’Iran. Il y aussi les tentatives d’éloigner le Qatar de l’Iran, ceci en essayant de le faire retourner au giron arabe. Autre point de pression, les pays arabes peuvent boycotter l’Iran tant que ce dernier poursuit ses agissements. C’est une carte de pression importante, car les relations commerciales entre l’Iran et ses voisins sont très importantes. Par exemple, selon la Banque mondiale, l’Iraq est le deuxième plus grand importateur de l’Iran après la Chine (hydrocarbures et autres). Il y a aussi la possibilité de s’adresser aux institutions internationales, avec, par exemple, des plaintes contre l’Iran sur certains dossiers comme les droits de l’homme et les libertés. Les pays arabes peuvent également demander de participer dans les négociations nucléaires.
— Justement, les Etats signataires de l’accord nucléaire vont s’entretenir ce jeudi 27 juin, cette réunion semble être inutile vu la conjoncture ...
— Tout à fait. Cette réunion ne mènera à rien, car tout simplement ce que l’Iran réclame aux Européens, ils ne l’ont pas. Téhéran appelle l’Europe à tenir ses promesses financières, or, les entreprises européennes privées ne peuvent plus tenir ces promesses, autrement elles subiront elles-mêmes des sanctions. Elles ne peuvent pas prendre ce risque. Le système libéral appliqué en Europe sépare le secteur privé du secteur public, donc, les gouvernements européens ne possèdent aucun pouvoir sur les entreprises privées qui ont décidé de se retirer du marché iranien. Economiquement parlant surtout, ces sociétés européennes ne vont jamais perdre le marché américain estimé de 18 à 20 trillions de dollars, pour rester dans le marché iranien, 400 milliards de dollars.
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