Le président Ashraf Ghani lors d'un entretien à Kaboul avec l'émissaire américain Zalmay Khalilzad, le 27 janvier.
(Photo:Reuters)
« J’appelle les Talibans (...) à montrer leur volonté afghane, à accepter l’exigence de paix des Afghans et à entamer des pourparlers sérieux avec le gouvernement afghan », tel est l’appel lancé cette semaine par le président afghan Ashraf Ghani aux Talibans lors d’un discours télévisé depuis le palais présidentiel à Kaboul. Cet appel, diffusé à la télévision nationale, survient après six jours de négociations à Doha entre le groupe insurgé et des représentants américains. Ces négociations, achevées samedi 26 janvier, s’inscrivent dans le cadre de pourparlers discrètement lancés l’été dernier. L’Administration américaine affiche un optimisme inédit en 17 ans de guerre. Et pour cause : pour la première fois, Washington a officiellement fait état d’une percée. Selon l’envoyé spécial américain pour la paix, Zalmay Khalilzad, les Etats-Unis et les Talibans sont parvenus à un projet d’accord-cadre en vue de mettre fin à la guerre qui dure depuis 2001 en Afghanistan. Aux termes de ce projet, les Talibans s’engagent à empêcher que le territoire afghan soit utilisé par des terroristes. « Les Talibans se sont engagés, à notre grande satisfaction, à faire le nécessaire pour empêcher que l’Afghanistan devienne une plate-forme pour des groupes terroristes internationaux ou pour des terroristes agissant seuls », a précisé Khalilzad lors d’un entretien à Kaboul au quotidien américain New York Times. Khalilzad a cependant prévenu qu’il restait encore du travail à faire pour fixer les détails de ce projet d’accord. « Ce projet d’accord-cadre doit être étoffé avant de devenir un accord en bonne et due forme ».
Après les pourparlers au Qatar, un haut responsable américain, sous couvert de l’anonymat, avait fait état de « progrès significatifs » sur un retrait des forces étrangères d’Afghanistan. Il avait toutefois indiqué que des discussions étaient encore nécessaires pour parvenir à un cessez-le-feu sans lequel, avait-il dit, aucun retrait militaire ne pourrait se faire. La durée de ces échanges, inédite selon des spécialistes, a donné lieu à de nombreux espoirs. « Même si on n’est qu’au début du processus, on peut dire qu’il s’agit d’un tournant », se réjouit Michael Kugelman, du Wilson Center, un think tank américain interrogé par l’AFP. Pour autant, le chemin à parcourir pour conclure un véritable accord de paix reste long. Michael Kugelman le reconnaît: « Il ne faut pas surestimer la portée » de l’engagement des Talibans, qui est davantage « un geste de bonne volonté qu’une véritable concession ». Surtout que les insurgés insistent, eux, dans leur communication, sur un autre volet des négociations : le retrait des forces américaines. Interrogé à Washington, le ministre américain de la Défense, Patrick Shanahan, s’est refusé à tout commentaire sur ce sujet, promettant seulement une « étroite coordination » avec les partenaires de l’Otan, qui chapeaute la mission « Resolute Support », dont les Etats-Unis forment, avec 14000 hommes, le plus gros contingent. Selon Kaboul, Khalilzad a aussi promis qu’un éventuel départ des troupes américaines serait « coordonné » avec le gouvernement afghan.
Risques d’un départ abrupt
Or, nul n’ignore que le président Trump veut quitter l’Afghanistan. Jugeant souvent inutiles et coûteux les déploiements à l’étranger, il l’a promis durant sa campagne au nom du mot d’ordre « America First » ou « l’Amérique d’abord ». Et s’il a d’abord renoncé à contrecoeur à tenir cette promesse, sous la pression des responsables militaires, sa décision de commencer à organiser le retour de la moitié des soldats américains a filtré fin 2018. « L’Administration Trump serait clairement contente de brandir un succès pour trouver une manière de terminer, ou en tout cas de réduire drastiquement sa mission actuelle », affirme Michael O’Hanlon, du cercle de réflexion Brookings à Washington. D’après Laurel Miller, émissaire américaine pour l’Afghanistan et le Pakistan jusqu’en 2017, pour savoir si les négociations actuelles représentent une « percée », il faudra attendre de comprendre si les Talibans sont, cette fois, réellement sérieux « ou si le vrai changement est seulement que les Etats-Unis veulent partir et sont à la recherche d’une manière d’y parvenir ».
Donald Trump n’est pas le seul à vouloir mettre fin à la plus longue guerre actuellement menée par les Etats-Unis. Son prédécesseur Barack Obama avait lui aussi des réserves sur un tel niveau d’implication, d’autant que s’est installée la certitude de l’impossibilité d’une victoire militaire. Mais l’inquiétude concerne les conditions d’un retrait et est ravivée par les décisions du président américain, souvent impulsives et sans concertation avec les alliés. « Si les Américains partent abruptement sans accord de paix, ou alors avec un accord qui n’est en fait qu’un prétexte pour pouvoir partir », alors l’Iran, la Russie et la Chine « vont venir soutenir leurs alliés traditionnels en Afghanistan, l’autorité centrale va s’émietter et la guerre civile va s’intensifier et se généraliser », met en garde Laurel Miller, désormais directrice Asie de l’organisation International Crisis Group. Donc, la question-clé de l’affaire afghane reste toujours posée : « Comment faire en sorte que les Talibans et le gouvernement afghan actuel partagent le pouvoir ? », comme l’indique l’analyste américain Michael O’Hanlon .
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