Tiraillé entre deux présidents, le Venezuela vit ses jours les plus cauchemardesques. Treize jours après l’investiture du président Nicolas Maduro pour un second mandat le 10 janvier, le chef du parlement, Juan Guaido, a déclenché une crise sans précédent en s’auto-proclamant, mercredi 23 janvier, président par intérim devant des milliers de Vénézuéliens, descendus dans les rues pour dénoncer la légitimité de Maduro. Depuis, le pays est plongé dans un chaos infernal avec des heurts entre les forces de l’ordre et les manifestants, qui ont fait 26 morts. 350 personnes ont été arrêtées par la police. Selon les experts, la situation pourrait dégénérer surtout après les appels de Guaido, lundi 28 janvier, à de nouvelles manifestations, mercredi et samedi prochains, pour faire basculer l’armée, principal soutien de Maduro. « Nous descendrons dans les rues pour exiger des forces armées qu’elles se mettent du côté du peuple », a lancé le chef de l’opposition.
Selon Dr Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, il s’agit de la crise la plus grave qu’affronte Maduro depuis son accession au pouvoir en 2013. « En effet, la crise économique qui ronge le pays depuis l’arrivée du président chaviste est à l’origine de la forte colère du peuple et de l’opposition. Pour l’heure, l’avenir de ce pays latino-américain reste indécis. Trois scénarios sont possibles les jours à venir. Le premier est que les manifestations populaires prennent de l’ampleur contre Maduro et le régime recourt à la violence contre les manifestants, ce qui amènera l’armée— gardienne du régime— à lâcher le président et à se ranger du côté du peuple. Le deuxième scénario est que les manifestations anti-Maduro restent d’une portée limitée, alors les militaires vont continuer à soutenir le président qui survivra alors à la crise. Le troisième scénario est que le président et l’opposition engagent un dialogue national sous la pression de l’armée et de pays intermédiaires comme la Russie ou le Mexique qui ont proposé d’accueillir un dialogue entre les deux camps afin de trouver une issue pacifique à la crise », explique-t-il.
Confronté à une grave crise qui secoue son pouvoir, le président chaviste a tenté de contenir la crise, appelant vendredi 25 janvier, son adversaire Juan Guaido à un « dialogue national ». Une offre catégoriquement rejetée par ce dernier qui a poursuivi son offensive contre le président, promettant une amnistie aux militaires pour qu’ils désavouent Maduro. Pour les experts, la reconnaissance de l’armée est vitale pour le président du parlement en vue de la mise en place d’un gouvernement de transition. « Juan Guaido défie le président grâce au soutien que lui procure une bonne partie de la communauté internationale, notamment les Etats-Unis, le Canada, les pays d’Amérique latine et certains pays européens », explique Dr Mourad. Voyant en Maduro sa bête noire par excellence, les Etats-Unis étaient le premier pays à reconnaître le chef de l’opposition comme président par intérim, mettant en garde le « régime illégitime » du président chaviste contre « toute décision d’utiliser la violence pour réprimer la transition démocratique pacifique ».
En riposte à cette mise en garde américaine, Maduro a accusé le président américain, Donald Trump, d’être à l’origine de cette tentative de coup d’Etat et a rompu ses relations avec Washington. Washington, pour sa part, a appelé à une réunion extraordinaire du Conseil de sécurité, samedi 26 janvier, pour discuter de la crise vénézuélienne. Lors de cette réunion, les Etats-Unis ont appelé tous les pays à soutenir Guaido. « Les Vénézuéliens ont tant souffert. Le moment est venu pour appuyer le peuple vénézuélien et soutenir le nouveau président démocratique », a appelé le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo.
S’alignant sur les Américains, les Européens ont donné un « ultimatum de huit jours » au président vénézuélien pour organiser des « élections anticipées ». « Si ces élections ne sont pas convoquées, nous reconnaîtrons le chef de l’opposition comme président par intérim du Venezuela », affirme un communiqué de l’Union européenne. Un appel qui a été vite rejeté par le président vénézuélien: « Personne n’a le droit de donner un ultimatum à un gouvernement souverain. C’est de l’ingérence », s’est-il insurgé.
Maduro soutenu par ses alliés
Malgré ces pressions internes et externes, Nicolas Maduro s’accroche au pouvoir, réconforté du soutien de ses alliés dans son pays et à l’étranger. Sur le front interne, une série de manifestations pro-régime a été organisée samedi 26 et dimanche 27 janvier dans les rues de Caracas pour protester contre le chef de l’opposition qui a « usurpé » le pouvoir. Devant ses partisans qui voient en lui le successeur d’Hugo Chavez, le président a promis de tout faire pour résoudre la crise économique qui sévit dans le pays. Plus important encore, l’armée— gardienne du pouvoir— a réaffirmé cette semaine sa loyauté au président et dénoncé un « coup d’Etat illégitime ». « Il y a eu un coup d’Etat contre notre démocratie, contre notre Constitution et contre le président légitime du Venezuela », a déclaré le ministre de la Défense, le général Padrino. Selon Dr Mourad, l’armée est l’ossature du régime au Venezuela. « C’est elle qui détient les clés du jeu. Si elle lâche le président, il va chuter », affirme l’expert.
Quant au plan international, Maduro peut désormais compter sur ses fidèles alliés dont la Turquie, le Mexique, la Chine, mais surtout son allié le plus fidèle, la Russie. Soucieux de ne pas perdre un allié comme Maduro, le président russe, Vladimir Poutine, lui a apporté son soutien dès le premier jour de la crise, dénonçant toute ingérence américaine et européenne dans les affaires du Venezuela. Lors de la réunion du Conseil de sécurité, l’ambassadeur russe à l’Onu, Vassily Nebenzia, a tiré à boulets rouges sur les Etats-Unis, les accusant eux et leurs alliés de vouloir renverser le président chaviste. Pour sa part, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a appelé les leaders de l’opposition vénézuélienne à ne pas « devenir un pion dans le jeu d’échecs de quelqu’un d’autre ». Selon les experts, le Venezuela est devenu un nouvel épisode dans le bras de fer qui oppose Washington à Moscou. Dans une tentative de sauver son allié, Moscou s’est dit prêt à jouer le rôle de médiateur entre le gouvernement d’un côté, et l’opposition de l’autre, mettant en garde les Etats-Unis contre une intervention militaire au Venezuela. « Le Venezuela est le partenaire stratégique de Moscou. La Russie soutient et soutiendra le Venezuela », a affirmé Lavrov.
Enfin, une question se pose: les évolutions au Venezuela peuvent-elles engendrer une guerre civile ? « Une guerre civile serait le scénario le plus infernal pour ce pays ruiné politiquement et économiquement. L’éclatement d’une telle guerre dépend de l’attitude des protagonistes de la crise, de l’ampleur des manifestations anti-régime et de la conduite de l’armée vis-à-vis des manifestants. Si les manifestations pro ou anti-régime sombrent dans la violence, une guerre civile n’est pas à exclure », conclut Dr Mourad .
La crise économique en chiffres
La crise économique, qui s’aggrave depuis l’arrivée au pouvoir de Nicolas Maduro, a plusieurs raisons dont la première est la chute de la production de pétrole. A la fin des années 1990, la production du pays dépassait les 3 millions de barils par jour, aujourd’hui, elle ne dépasse pas les 1,17 million de barils par jour, soit son niveau le plus bas depuis 50 ans. Les exportations de l’or noir, qui représentent la quasi-totalité des exportations du pays, se sont effondrées: les exportations vers les Etats-Unis, par exemple, sont ainsi passées de 850000 barils par jour en 2016 à 574000 b/j fin 2018. Autre motif de cette crise: l’hyperinflation. Après la chute des exportations de pétrole, le pays a de moins en moins de devises, et a donc du mal à se procurer les biens nécessaires pour vivre. Cette pénurie a généré une hyperinflation spectaculaire. Une situation qui a déchaîné des manifestations contre les autorités qui n’ont pas réussi à gérer la crise. En outre, il n’y a pas de croissance économique. Depuis 2014, le Venezuela enregistre même des taux négatifs. Le FMI parle d’un recul du PIB de 18% pour l’année 2018. Quant à la dette publique, elle est passée de 39% du PIB en 2017 à 159% en 2018. Pire encore, le taux de chômage s’établit à 34% selon le FMI, et devrait encore grimper en 2019. La Banque mondiale estime que plus de 90% des Vénézuéliens vivent dans la pauvreté, surtout que les sanctions américaines ont de plus en plus courbé l’économie vénézuélienne. Une situation qui a forcé 3 millions de Vénézuéliens à fuir leurs terres .
Lien court: