L’accrochage qui a eu lieu la semaine dernière entre trois navires ukrainiens et des forces russes en mer d’Azov, une région qui est le théâtre de tensions entre les deux pays, n’a rien d’anodin, et ce, pour plusieurs raisons. Tout a commencé le dimanche 25 novembre quand trois navires tentaient de traverser le détroit de Kertch, reliant la mer Noire et la mer d’Azov, les forces russes ont ouvert le feu sur les marins ukrainiens, les accusant d’avoir franchi illégalement la frontière russe, ce qu’ils nient. L’incident a fait plusieurs blessés parmi les Ukrainiens et les Russes ont saisi les navires et les membres de leur équipage étaient placés en détention provisoire jusqu’au 25 janvier.
D’abord, il s’agit de la première confrontation militaire directe entre Moscou et Kiev depuis l’annexion de la Crimée par Moscou en 2014 et le début d’un conflit armé dans l’est de l’Ukraine entre forces ukrainiennes et séparatistes pro-russes qui a fait plus de 10 000 morts. Ensuite, le ton est vite monté : la Russie a annoncé qu’un nouveau système de missiles sol-air S-400 allait être déployé « dans un avenir proche » en Crimée pour renforcer son emprise sur la région et le président ukrainien, Petro Porochenko, a évoqué la « menace d’une guerre totale » avec la Russie qui a, selon lui, « augmenté drastiquement » sa présence militaire à la frontière.
Appelant à la libération « immédiate » de ses marins considérés comme des prisonniers de guerre, Kiev a empêché les Russes entre 16 et 60 ans d’entrer sur ses territoires. Aussi, le parlement ukrainien a voté la loi martiale qui a été imposée mercredi 28 novembre pour une période de trente jours dans dix régions situées près de la Russie et dans la région de la Transnistrie, contrôlée par la Russie, en Moldavie. Cette loi doit notamment permettre aux autorités ukrainiennes de mobiliser ses citoyens, de réguler les médias et de limiter les rassemblements publics.
« L’objectif de la loi martiale consiste à montrer que l’ennemi payera très cher s’il décide de nous attaquer », a menacé le président Porochenko qui a en outre demandé aux pays membres de l’Otan, et notamment à l’Allemagne, de déployer des navires en mer d’Azov pour soutenir Kiev dans son bras de fer avec Moscou. Un appel dénoncé par le Kremlin qui a affirmé que l’intervention de n’importe quel pays ne ferait qu’« aggraver les tensions dans la région ».
Analysant les motifs de ce bras de fer, Dr Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, explique : « L’objectif de Moscou est clair. Après avoir annexé la Crimée depuis 4 ans, il veut étendre son hégémonie sur toute l’Ukraine. Il veut contrôler toute la mer d’Azov pour étrangler économiquement Kiev, puisque 80 % des exportations ukrainiennes passent par cette mer. Autre motif pour cette escalade : le président russe Vladimir Poutine a vu sa cote de popularité chuter ces derniers mois sur fond de problèmes économiques.
Il veut donc détourner l’attention du peuple russe de ces problèmes, augmenter sa cote de popularité en étendant l’hégémonie russe sur l’Ukraine et, du même coup, prouver son poids militaire sur le plan international face à ses adversaires occidentaux ». Situation similaire en Ukraine où Petro Porochenko cherche à se faire réélire pour un deuxième mandat à la présidentielle du 31 mars, mais est toujours confronté à des problèmes de popularité. « Le bras de fer avec Moscou et l’imposition de la loi martiale visent à renforcer l’image de Porochenko, défenseur de l’Ukraine, et à réorienter la campagne des sujets de société vers la sécurité nationale », poursuit Dr Mourad.
Menaces de nouvelles sanctions contre Moscou
L’incident n’est pas non plus anodin au regard de la communauté internationale vu que son ampleur dépasse l’aspect bilatéral. Les pays occidentaux ont certes intensifié leurs efforts afin de contenir la crise, mais ils ont surtout adressé un déluge de critiques à Moscou. Cette crise a été d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le président américain Donald Trump a annulé sa rencontre prévue avec son homologue russe Vladimir Poutine vendredi 30 novembre, tout en appelant les pays européens à imposer de nouvelles sanctions contre Moscou.
Lors des réunions du G20 en Argentine, vendredi 30 novembre et samedi 1er décembre, les pays occidentaux ont critiqué Moscou, l’appelant à la retenue, à la libération des marins ukrainiens et à la défense de la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Appelée à jouer le rôle de médiateur par les deux pays en crise, la chancelière allemande, Angela Merkel, a appelé au dialogue.
« Nous ne pouvons résoudre ce problème que par des discussions. Pas de solution militaire à cette crise », a lancé Merkel, alors que le président du Conseil européen, Donald Tusk, a affirmé qu’une nouvelle série de sanctions européennes pourraient être imposées à Moscou ce mois-ci. En fait, explique Dr Mourad, « l’Allemagne est le pays européen le plus lié aux pays de l’Europe de l’Est et le plus capable de jouer le rôle de médiateur dans cette crise grâce à sa position géographique et à ses relations économiques avec ces pays. Elle veut garantir la stabilité politique de ces pays pour protéger ses intérêts ».
La crise entre Moscou et Kiev est aussi au centre des discussions de la réunion de l’Otan qui a commencé mardi 4 décembre et doit se poursuivre ce mercredi 5 décembre. Avant même cette rencontre, une réunion extraordinaire de l’Alliance en présence des responsables ukrainiens a eu lieu mardi 27 novembre où l’Otan a appelé à la sauvegarde de l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine contre toute agression russe, incitant Moscou à libérer les marins ukrainiens.
Mais la réponse de Moscou reste pour le moment ferme. Au G20, Vladimir Poutine a dénoncé les pressions occidentales sur son pays et l’usage des sanctions unilatérales, « une pratique vicieuse du recours aux sanctions unilatérales illégales se répand », selon ses termes. « Poutine a annexé la Crimée il y a 4 ans et ni les sanctions ni les menaces occidentales ne l’ont obligé à faire machine arrière. Il est décidé à restaurer la grandeur de la Russie et à hausser sa cote de popularité dans son pays. Cela dit, le scénario d’une guerre reste lointain, car l’Ukraine n’est pas en mesure de faire la guerre avec une superpuissance militaire comme la Russie. Et jamais les Etats-Unis ni l’Europe ne vont s’enliser dans une nouvelle confrontation. Ils ne l’ont pas fait après l’annexion de la Crimée, ils ne vont donc jamais le faire », conclut Dr Mourad.
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