Rien ne va plus en Afghanistan. Après le climat terroriste qui a endeuillé les législatives du 20 octobre (56 morts et 379 blessés), les résultats du vote, d’abord reportés du 10 au vendredi 23 novembre, n’ont pas été annoncés à cause des milliers de plaintes déposées devant la Commission électorale indépendante, des accusations de fraude, en sus des graves actes de violences. Sans parler de l’insécurité : le jour où les résultats du vote étaient attendus était le pire, avec deux attentats meurtriers commis par Daech et les Talibans.
Vendredi 23 novembre, les Talibans ont attaqué un convoi militaire au sud-ouest du pays, faisant 4 morts et 7 blessés parmi les soldats, alors que Daech a commis un attentat beaucoup plus grave contre une mosquée à l’intérieur d’une base de l’armée à l’est du pays, faisant 50 morts parmi les soldats afghans et 110 blessés. Trois jours auparavant, Daech avait commis un attentat meurtrier, mardi 20 novembre, contre une mosquée au cours d’un rassemblement de religieux de haut rang célébrant la naissance du prophète Mohamad à Kaboul. Bilan : 55 personnes mortes et 80 blessées.
« En intensifiant leurs violences ces dernières semaines, les Talibans veulent faire pression sur Kaboul et les Etats-Unis afin d’obtenir le maximum de concessions lors des pourparlers de paix en cours entre les rebelles et les Etats-Unis. Quant à Daech, il vise plusieurs objectifs en intensifiant ses frappes : perturber les législatives et entraver la publication de leurs résultats, signaler sa forte présence en Afghanistan, se prouver en tant qu’acteur de poids dans l’équation politique afghane, coude à coude avec les Talibans, et enfin perturber les négociations de paix en cours entre les Talibans et les Etats-Unis », affirme Dr Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire.
Les leçons des législatives
Malgré cette donne qui, pour le moins que l’on puisse dire, ne porte pas à l’optimisme, jamais les Etats-Unis n’étaient si décidés à résoudre la crise afghane comme ils le sont ces derniers jours. Les efforts américains s’intensifient pour aboutir à une réconciliation entre les Talibans et le gouvernement de Kaboul dans l’objectif de couper la route à Daech et instaurer la paix, de quoi permettre aux troupes américaines de se retirer du bourbier afghan. Cette semaine, le président américain, Donald Trump, a laissé entendre cette semaine qu’il pourrait faire sa toute première visite en Afghanistan très prochainement, affirmant que des « négociations très importantes » ont lieu ces jours-ci entre Zalmay Khalilzad, émissaire américain pour la paix en Afghanistan, et les Talibans à Qatar.
Des efforts qui avaient porté leur premier fruit cette semaine : 54 Talibans ont renoncé à la violence pour rejoindre le processus de paix afghan. Selon Dr Mourad, il s’agit d’un pas timide sur un chemin encore trop long : « Un accord entre les Talibans et Kaboul reste difficile, c’est pourquoi les Etats-Unis négocient directement cette fois-ci avec les Talibans pour aboutir à un compromis puis l’imposer au gouvernement afghan ».
Mais plusieurs questions s’imposent. Un accord de paix entre Kaboul et les Talibans dans les cinq prochains mois avant la présidentielle d’avril 2019 ? Un rêve réalisable ou un juste souhait naïf ? De plus, quel avenir attend la présidentielle afghane prévue en avril 2019 ? Les violences, la gestion chaotique des législatives organisées avec trois ans de retard et le report de la publication de ses résultats laissent planer le doute sur la capacité de la Commission électorale indépendante afghane à organiser en avril le scrutin présidentiel.
En fait, Washington a demandé à Kaboul de reporter la présidentielle jusqu’à la fin de ses pourparlers avec les Talibans, mais le président Ashraf Ghani a insisté sur le fait que ce scrutin ait lieu en avril. « Malgré la poussée de violences et les demandes de report émises par certains, l’Afghanistan doit tenir son élection présidentielle. Nous devons respecter le calendrier parce que la légitimité de notre système repose sur les élections », a justifié le président afghan.
Pour l’heure, Ashraf Ghani se pose comme le favori de la prochaine présidentielle. Le seul candidat qui pourrait rivaliser avec lui est le chef du gouvernement Abdullah Abdullah, candidat malheureux à la présidentielle de 2009 et 2014, qui maintient jusqu’à présent le suspense sur ses ambitions politiques. « Je m’impliquerai activement d’une manière ou d’une autre, mais je n’ai pas encore pris ma décision », a répondu M. Abdullah à une question sur une éventuelle candidature à la présidentielle. Battu par Ghani en 2014, il a accepté de diriger un gouvernement d’union nationale en termes d’un accord conclu sous la houlette des Etats-Unis, mais la rivalité entre les deux hommes perdure.
Le chef du gouvernement n’a pas caché ses inquiétudes sur le manque de progrès dans la lutte contre la fraude électorale endémique dans le pays et il s’est dit « déçu » par les législatives d’octobre marquées par de nombreux ratés, tels l’absence de listes électorales ou le mauvais fonctionnement des terminaux de reconnaissance biométrique. « Il y a de nombreuses leçons à tirer des législatives. Si le gouvernement et les autres institutions responsables y répondent, nous ne pouvons avoir un scrutin plus fiable qu’en 2014 », a espéré M. Abdullah.
Un espoir loin de se concrétiser, car la réalité sur le sol afghan n’augure rien de bon les jours à venir. « Tant que les parties en conflit persistent à ne trouver aucun compromis, la violence va de plus en plus s’aggraver en Afghanistan qui deviendra un foyer du terrorisme international. Dans ce contexte sombre, la présidentielle d’avril ne sera qu’un échec », prévoit Dr Mourad .
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