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Saïd Okacha : Israël a réussi à faire passer cette loi avec le minimum de réactions

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 31 juillet 2018

Saïd Okacha, expert des affaires israéliennes au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, revient sur les effets de la loi fondamentale définissant le pays comme l’Etat-nation du peuple juif.

Al-Ahram Hebdo : Deux semaines après sa promulgation, la loi définissant Israël comme « nation du peuple juif » ne cesse de provoquer des remous au sein d’Israël. Un député arabe israélien a annoncé samedi sa démission pour protester contre cette loi, qu’en pensez-vous ?

Saïd Okacha : Approuvée par le parlement israélien par 62 voix pour et 55 contre avec deux abstentions, cette loi a été passée avec une grande difficulté. Cela veut dire que cette loi renferme beaucoup de clauses controversées. Depuis que l’on a commencé à parler de cette loi en 2011, la polémique n’a pas cessé sur les droits des minorités israéliennes, à savoir les Arabes israéliens, les Druzes, les juifs orthodoxes, les Haredim. Chacune de ces communautés voit d’un mauvais oeil cette loi qui traînait depuis sept ans dans la Knesset.

Mais Netanyahu l’a bien joué pour faire passer la loi, en modifiant certaines de ces clauses controversées. Il a aussi exploité le fait qu’il y a un consensus entre la droite et la gauche israéliennes sur le principe qu’Israël est l’Etat des juifs.

— Que peuvent faire les Arabes israéliens, qui deviennent ainsi des citoyens de seconde catégorie ?

— Parmi les nouveautés, c’est que cette loi fait de l’hébreu la seule langue officielle. Quant à l’arabe, considéré auparavant la deuxième langue d’Israël, il devient une langue à statut spécial. Cela veut dire que les Arabes de 1948 ou Arabes israéliens, qui représentent presque 20 % de la population, deviennent par conséquent des citoyens de seconde catégorie et ne possèdent plus une identité nationale. Les Arabes israéliens s’apprêtent, comme première réaction, à saisir la Cour suprême israélienne pour statuer sur cette législation discriminatoire. Même la communauté druze israélienne, pourtant mieux intégrée et qui, contrairement aux Arabes israéliens, sert dans l’armée et dans la police, a critiqué cette loi.

— Cette loi a également semé la zizanie parmi la droite, les religieux et la diaspora israélienne ...

— On trouve également une vive opposition parmi quelques figures de la droite extrémiste qui craignent que cette loi provoque des différends entre Israël et l’Occident. Pour elles, cette loi, qui porte de toute évidence entre ses clauses des valeurs discriminatoires, va nuire à l’image d’Israël à l’extérieur. Il s’agit d’un choc entre le slogan de l’Etat hébreu, qu’Israël ne cesse de hisser, qu’il est la seule démocratie au Moyen-Orient, et l’image d’un pays qui légalise des lois racistes. Même le président d’Israël, Reuven Rivlin, a exprimé son opposition à la loi par crainte qu’elle ne soit utilisée comme une arme par les adversaires de son pays. Quant aux hommes religieux, les Haredim, ils ont aussi leurs propres craintes. Ils s’y opposent d’un point de vue religieux. Ils craignent que cette loi ne transforme Israël en un Etat laïque, parce qu’ils veulent que ce soit le caractère juif religieux qui prévaut et non pas de juif national. Or, désormais, le dernier mot concernant les questions d’état civil, comme le divorce et le mariage, des questions qui divisent depuis longtemps les Israéliens, ne sera plus celui des religieux, mais des tribunaux civils.

Le groupe de pression des juifs américains J Street aux Etats-Unis, qui représentent une partie de la diaspora (5 millions), a également affiché son opposition à la loi. En fait, la diaspora a toujours une importance stratégique pour le poids d’Israël à l’extérieur. Après la promulgation de cette loi, il y a aujourd’hui un grand risque qu’Israël perde le soutien de ce bloc. Bref, l’impact de cette loi est très grand, que ce soit entre les Israéliens eux-mêmes ou entre Israël et l’Occident.

— Tant de remous à l’intérieur et si peu de réactions internationales ! Pourquoi cette faiblesse ?

— En effet, la loi a suscité une vague de critiques plus importante à l’intérieur d’Israël que dans les milieux arabe et international. Certes, il y a eu des condamnations et des critiques sur le caractère raciste du texte. Il n’en demeure pas moins qu’Israël a réussi à faire passer cette loi avec le minimum des réactions internationales.

— Loin de la polémique interne, quel est l’impact de cette loi sur la solution à deux Etats ?

— La perspective des deux Etats s’évapore de plus en plus. En fait, Netanyahu a voulu faire passer cette loi (comme d’autres mesures) le plus vite possible, avant que le plan de Trump, le deal du siècle, ne soit posé sur la table. Son objectif principal, c’est de barrer la route au retour des réfugiés palestiniens. Si ce plan impose la solution à deux Etats, et qu’Israël se trouve un jour obligé de reconnaître un Etat palestinien, les réfugiés devront exercer le droit du retour dans l’Etat palestinien et non pas dans l’Etat israélien qui sera seulement l’Etat national pour le peuple juif.

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