Sous un déluge de pressions internationales, Téhéran vit ses jours les plus difficiles.
(Photo:AFP)
Avec d’une part les difficultés qui entourent l’accord sur le nucléaire, de l’autre, le bras de fer de Téhéran avec les Etats-Unis et Israël, et enfin les tensions de la République islamique avec ses voisins, l’Iran vit des jours difficiles.
Furieux de ne pas avoir récolté les fruits attendus de l’accord sur le nucléaire, Téhéran a laissé planer le doute, et ce, pour la première fois depuis sa conclusion en juillet 2015. Alors que certains responsables réitèrent leur engagement à respecter toutes les clauses du texte, d’autres affirment leur disposition à s’en retirer tant que les banques internationales n’avaient pas conclu avec Téhéran de gros contrats ou affaires financières importantes. C’est le vice-ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, qui franchit le pas en déclarant que l’accord, qui n’est pas « un succès » pour Téhéran, « est menacé si les entreprises étrangères ne développent pas davantage leurs échanges avec l’Iran ». Araghchi a aussi dénoncé l’hostilité américaine à l’accord qui crée une « atmosphère destructrice », empêchant ainsi les entreprises de commercer librement avec l’Iran. Adoptant ce même ton défiant, le ministère iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, a affirmé que son pays s’est engagé à riposter si ses intérêts ne sont pas assurés dans le cadre de l’accord. « Et la riposte sera si sévère que tout le monde le regrettera », a-t-il dit. Tout en tempérant sa position: « Nous ne serons pas les premiers à violer l’accord ». Et Téhéran a même informé, vendredi 23 février, l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) de son intention de bâtir des réacteurs nucléaires maritimes.
Mais la République islamique peut-elle vraiment se retirer de l’accord? « Bien sûr que non », répond Mohamad Mohsen Aboul-Nour, spécialiste du dossier iranien à l’Université d’Al-Azhar. « Ce ne sont que des menaces, il s’agit d’une carte de pression, pas sur Donald Trump, car sa position est déjà ferme, mais plutôt sur les Européens. Il est vrai que les gains collectés du pacte n’étaient pas à la hauteur des attentes iraniennes, mais le texte a pourtant procuré à l’Iran de gros contrats financiers avec l’Europe. A titre d’exemple, l’année dernière, le régime iranien a conclu avec la France des contrats d’un montant de 3,5 milliards d’euros. En outre, le groupe français Total a signé avec le régime un accord de 5 milliards d’euros pour l’exploitation du grand champ gazier de Pars sud, d’un montant de 5 milliards d’euros », explique le spécialiste. Tout en ajoutant qu’« il ne faut pas oublier que grâce à ce pacte, l’Iran a rejoint le concert des nations ».
Or, c’est un jeu risqué. Plutôt que de soutenir Téhéran, les Européens peuvent se rapprocher des Américains. « L’Iran pourrait se retrouver seul s’il persistait dans cette politique de défi. Pour la première fois, la France et la Grande-Bretagne ont présenté au Conseil de sécurité de l’Onu un projet de résolution imposant des sanctions à Téhéran s’il se retire du pacte. Sans oublier les éventuelles sanctions que Téhéran risque d’encourir en raison de son soutien présumé aux rebelles yéménites houthis. Dans cet état des lieux, la nouvelle manoeuvre iranienne peut avoir un effet contraire et rapprocher les Européens de la position américaine. Dans ce cas, l’Iran finira par tout perdre. Pour l’heure, l’unique allié de poids qui soutient Téhéran reste la Russie, qui a déposé à son tour une résolution à l’Onu pour éviter toute sanction contre l’Iran », explique Aboul-Nour.
Israël entre en jeu
D’ores et déjà, la liste des défis qui pèsent sur l’Iran est longue: risque de perdre ses alliés européens, risque de voir le pacte nucléaire abrogé, guerre verbale et rivalité croissante avec les monarchies sunnites du Golfe et surtout l’Arabie saoudite. Sans oublier la plus grande menace qui a émergé ces derniers jours: la grave rhétorique guerrière déchaînée par ses deux adversaires : Israël et les Etats-Unis. En effet, Téhéran est plus que jamais dans le viseur de ces deux pays qui ne se déploient pas seulement à torpiller l’accord sur le nucléaire, mais surtout à limiter l’hégémonie iranienne dans la région, le menaçant même d’une frappe militaire.
L’entrée en scène d’Israël ces dernières semaines n’a fait qu’exacerber la rhétorique de guerre. Israël a, en effet, récemment accusé l’Iran d’être responsable du crash de son avion F-16 au sud de la Syrie, et même promis de « lourdes représailles » aux « tyrans de l’Iran », selon les termes du premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, qui a assuré qu’il n’hésiterait pas à « intervenir contre l’Iran si cela s’avérait nécessaire ».
Un « remake » de la guerre d’Iraq ?
Nous sommes donc face à une escalade verbale directe à hauts risques. Avec d’un côté les différends avec Washington sur l’accord, les accusations à son encontre en ce qui concerne ses ambitions hégémoniques et son intervention au Yémen, l’Iran est dans l’oeil du cyclone. A tel point qu’une comparaison a été dressée entre la guerre américaine contre l’Iraq qui avait comme prétexte la destruction des armes de destruction massive (inexistantes) de Saddam Hussein et une éventuelle guerre américaine contre l’Iran qui aurait un prétexte similaire : démanteler l’arsenal nucléaire iranien (également inexistant). Dans son éditorial publié le 5 février dans le New York Times, le professeur Lawrence Wilkerson, colonel de réserve, a mis en garde : « Trump joue une comédie qui pourrait déboucher également sur un mauvais choix – comme l’a fait l’Administration W. Bush–, à savoir la guerre. Les conséquences d’une guerre avec l’Iran seraient dix à quinze fois plus terribles que celle d’Iraq en termes de victimes et de coût ».
Mais le scénario d’une frappe militaire contre l’Iran reste tout de même lointain, selon Dr Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. « Il y a une grande différence entre les deux cas. L’Iraq de Saddam Hussein, au moment de l’occupation américaine en 2003, était très fragile et sous le poids de lourdes sanctions internationales qui lui ont été imposées après son invasion du Koweït. Son armée était déjà faible et sous-équipée. Ce qui n’est pas le cas de l’Iran. Il est vrai qu’il y a une escalade verbale et une rhétorique guerrière inquiétante, mais entrer en guerre contre l’Iran n’est pas une partie de jeu. D’abord, Israël et les Etats-Unis sont minoritaires face à l’Europe, la Russie et la Chine: personne ne les soutiendrait dans cette guerre. Ensuite, l’Iran est un pays fort qui a une armée bien équipée, une guerre contre lui embraserait la totalité de la région et aurait des conséquences catastrophiques. Troisièmement, il est très difficile d’adresser une frappe aux installations nucléaires iraniennes — comme le souhaitent Israël et Washington—, car elles sont cachées sous la terre et bien sécurisées », explique Dr Mourad. Et d’ajouter: « Les Etats-Unis n’ont pas osé frapper la Corée du Nord qui ne cesse de défier le monde avec ses essais nucléaires, comment frapperont-ils l’Iran qui a conclu un pacte avec la communauté internationale ? ». On se trouve donc face à une situation où chacune des parties manoeuvre pour faire pression sur l’autre, sans pour autant oser risquer le tout pour le tout.
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