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Mahmoud Aboul-Eineine : Le traitement d’égal à égal a rendu la Chine un partenaire bien accueilli sur le continent

Sabah Sabet , Lundi, 12 février 2018

Professeur de sciences politiques et ex-doyen de l’Institut des études africaines à l’Université du Caire, Dr Mahmoud Aboul-Eineine, analyse les relations sino-africaines à l’occasion de la récente visite du président de la Commission de l’Union Africaine (UA), Moussa Faki Mahamat, en Chine.

Mahmoud Aboul-Eineine

Al-Ahram hebdo : Un article publié par le journal français Le Monde, le 26 janvier, à la veille du sommet de l’Union Africaine (UA), et portant des accusations d’espion­nage supposé du siège de l’UA par la Chine, a fait tache d’huile, et ce, malgré les démen­tis. Qu’en pensez-vous ?


Mahmoud Aboul-Eineine : Il faut d’abord rappeler que les relations entre la Chine et le continent africain ne datent pas d’hier, elles remontent à des décennies, depuis l’époque de la guerre froide. La Chine a des relations fortes avec les pays africains, et en Afrique de l’Est, là où elle est la plus implantée ; ces projets sont très anciens. Je pense donc que ces accusations n’ont aucun fondement, et quand on les lance, on doit prouver ce qu’on dit. De plus, les deux partenaires les ont niées.

— Oui, mais on parle tout de même beaucoup de la présence grandissante de la Chine en Afrique, au détriment des autres puissances ...


— Les pays occidentaux ont négligé le continent africain, tandis que la Chine s’y est intéressée. L’Afrique présente une source de matières premières et d’énergie dont la Chine est dépourvue, et donc elle en avait besoin. Un autre point important qui a rendu la Chine le plus grand investisseur au continent, c’est sa stratégie : la Chine n’impose pas de conditions politiques ou sociales aux pays africains avant de travailler, tandis que les Etats-Unis ou certains pays européens, par exemple, le font, surtout en ce qui concerne les droits de l’homme. Donc, les stratégies basées sur la non-ingérence et le traitement d’« égal à égal » ont rendu la Chine un partenaire bien accueilli sur le continent. Ce rapprochement est traduit par des chiffres, surtout ces dernières années : les investissements chinois en Afrique étaient de 40 millions de dollars au début des années 2000, ils ont atteint 210 milliards de dollars en 2016.

— Mais certains craignent les effets d’une présence économique aussi forte, parfois assimilée à une nouvelle colonisation ...


— Lors de l’un des forums Chine-Afrique initiés par la Chine pour créer un dialogue où les deux partenaires discutent de leurs pro­blèmes, leurs défis et des moyens de les résoudre, ces inquiétudes et ces soupçons ont été discutés franchement par des délégués de certains pays africains. Et la Chine a expliqué qu’elle est contre toutes sortes de colonisation qu’elle a même affrontée. Elle a ajouté qu’elle était concernée seulement par les échanges éco­nomiques, et a assuré à ses par­tenaires qu’elle était prête à entreprendre n’importe quelle mesure qui les rende plus confiants.

D’ailleurs, l’un des principes politiques de la Chine est la non-ingérence dans les affaires internes des pays et les conflits bilatéraux, ce qui lui a causé certains problèmes d’autant plus que les litiges entre pays afri­cains sont nombreux. Au contraire, je pense que la Chine doit participer dans la résolution des conflits et ne pas limiter son rôle à la coopération économique.

— Justement, s’agit-il uniquement d’un partenariat économique ?


— Non, la Chine participe aussi aux opéra­tions de maintien de la paix et la sécurité au continent, ce que ne font pas les Etats-Unis par exemple, dont les aides sont plutôt financières et sous conditions. La Chine considère elle-même comme l’un des pays en développement, ce qui la rapproche plus aux Africains et à leur esprit.

— La Chine possède une base militaire en Afrique, n’est-ce pas significatif, voire inquiétant ?


— La Chine n’est pas le seul pays à possèder une base militaire en Afrique, la plupart des grandes puissances ayant des relations écono­miques et des intérêts en Afrique en ont pour protéger leurs intérêts, surtout sur les côtes de la mer Rouge et en Somalie à cause de la guerre au Yémen, des actes de piraterie maritime et du terrorisme.

Cela dit, à mon avis, l’existence de diffé­rentes bases militaires est une affaire inquié­tante, cela nous rappelle la période pré-coloni­sation. Un petit pays comme Djibouti abrite plusieurs bases militaires avec 25 000 soldats étrangers, un chiffre alarmant. Les pays arabes et africains doivent reconsidérer cette existence qui touche leur sécurité et prendre une position commune.

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