Trois jours après la publication des résultats définitifs des législatives du 11 mai remportées haut la main par le premier ministre pakistanais Nawaz Sharif (124 sur les 272 sièges), 86 000 Pakistanais étaient appelés dimanche à voter une fois de plus dans 43 bureaux de vote à Karachi, mégalopole du sud du pays. Ce vote, qui a eu lieu suite aux accusations de fraude et de bourrage d’urnes, était largement surveillé par l’armée et la police. Il intervient au lendemain de l’assassinat de Zohra Hussein, vice-présidente de l’organisation féminine du PTI (Mouvement pour la Justice) qui a fait une montée spectaculaire pour la première fois au scrutin (27 sièges). Le leader du PTI, Imran Khan, a inculpé le Mouvement
Quami Muttahida — un parti représentant les musulmans immigrés au Pakistan en 1947 — d’être derrière l’assassinat. Selon les observateurs, le vote de dimanche ne va pas trop changer les résultats des législatives remportées par Nawaz Sharif qui n’aura pas malheureusement le temps de savourer sa victoire, vu le lourd fardeau qui alourdit son dos. Désormais, un lot de tâches herculéennes va perturber son sommeil. Même si le chef de la Ligue musulmane (PML-N) pourra gouverner sans coalition grâce au bon nombre de sièges qu’il a collectés, il sera obligé de faire des alliances mineures avec des députés indépendants, car il n’a pas pu atteindre la majorité absolue des 137 sièges. En cas d’échec à collecter le nombre requis de candidats indépendants, un autre scénario s’impose à Sharif : demander l’appui du PTI d’Imran Khan, qui a remporté la troisième place après le Parti du Peuple Pakistanais (PPP) du président Asif Zardari (31 sièges). Une coalition qui ne semble pas facile au moins pour le moment car Imran Khan avait sévèrement critiqué M. Sharif et son parti pendant la campagne électorale et s’était engagé à faire partie de l’opposition. Soucieux de ne pas fermer toutes les portes avec le PTI, M. Sharif a fait état de son souhait de travailler avec M. Khan pour le bien du pays.
Deux gros défis : lutte antiterroriste et suspicion de l’armée
Même si l’alliance Sharif-Khan reste peu sûre pour l’heure, le chef du PTI a promis de coopérer avec le premier ministre sur le problème du terrorisme qui a fait des milliers de morts dans le pays. « Nous avons décidé qu’en dépit de profondes divergences, nous allons travailler ensemble à résoudre les principaux problèmes du pays, y compris celui du terrorisme », a déclaré M. Khan qui doit en partie son élection à sa volonté de négocier avec les talibans du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP). Même volonté de dialogue affichée par Nawaz Sharif tout au long de la campagne électorale. En fait, le terrorisme est le fléau le plus grave qui plante ses griffes dans l’avenir du Pakistan. Dernier épisode de violence : au moins 13 personnes ont été tuées et une quarantaine d’autres blessées vendredi lors d’un double attentat à la bombe contre deux mosquées dans une région du nord-ouest du Pakistan. Il s’agit de l’attaque la plus meurtrière perpétrée depuis la tenue des législatives. Ce qui n’augure rien de bon pour un dialogue qui resterait comme toujours « lettre morte », selon les experts qui demeurent sceptiques sur les chances de réussite d’un dialogue avec les talibans, les précédentes tentatives de dialogue ayant toujours achoppé sur les exigences inflexibles du TTP. En effet, les talibans rejettent tout dialogue avec les autorités et mènent une féroce guerre contre le régime. « Les talibans ne vont pas accepter ce dialogue car ils rejettent les élections dans leur ensemble et les jugent anti-islamiques. Ils voient que tout le régime est anti-islamique », anticipe l’expert du dossier pakistanais, Mohamed Fayez. Lors des précédents pourparlers, les rebelles ont imposé des conditions inacceptables pour le gouvernement, ce qui leur a permis de gagner du temps et de réorganiser leurs rangs. Selon les experts, le dialogue avec les talibans n’est pas seulement rejeté par les rebelles mais aussi par une bonne partie du peuple pakistanais qui voit que, depuis 2004, toutes les tentatives ont échoué et pour certains, négocier c’est aussi donner aux rebelles « une sorte de légitimité ». Même refus partagé par l’armée qui a perdu beaucoup d’hommes dans ses opérations antiterroristes et par Washington qui voit de mauvais oeil un tel rapprochement avec les talibans.
Outre cette lutte antiterroriste, Sharif aura un autre défi de poids : faire un certain compromis avec une armée habituée à jouer un rôle politique de poids dans un pays abonné aux coups d’Etat militaires. L’histoire nous rappelle que cette armée — avec à sa tête le général Musharraf — avait renversé Sharif quand il était au pouvoir en 1999. Selon l’analyste Mohamed Fayez, l’armée voit le retour de Sharif au gouvernement avec beaucoup de « méfiance ». Les relations entre le chef de la PML-N et l’armée étaient toujours tendues, car M. Sharif est le champion d’un rééquilibrage des pouvoirs au profit du gouvernement civil, une prétention perçue avec inquiétude par une armée qui a toujours dirigé le pays directement ou indirectement depuis sa naissance en 1947. La question qui s’impose maintenant : Cette armée pourra-t-elle intervenir dans le jeu politique à nouveau et renverser Nawaz Sharif pour contrer sa volonté d’imposer la suprématie du pouvoir civil et regagner son rôle politique perdu depuis l’éviction du général Musharraf du pouvoir en 2008 ? .
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