En déroute en Iraq et en Syrie, Daech va-t-il tenter d’ouvrir de nouveaux fronts en Asie avec l’aube du Nouvel An? La question s’impose avec force, surtout que les attentats signés Daech en Afghanistan se sont multipliés ces derniers mois et que plusieurs experts s’accordent à prévoir une migration des djihadistes vers le Tadjikistan, le Pakistan et surtout l’Afghanistan pendant les mois à venir. En effet, la défaite militaire de Daech ne signifie pas la fin de son idéologie. « Il va probablement resurgir en Asie centrale, surtout qu’il garde un bon stock d’armes et un bon nombre de combattants. Il s’agit maintenant pour Daech de revenir au bercail, la terre du djihad: l’Afghanistan. Même s’il change de nom, ce groupe va continuer de représenter une menaceen 2018», affirme Dr Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire.
Déjà, fin 2017, plus de 200 djihadistes ont rejoint les rangs de Daech dans le nord de l’Afghanistan, où celui-ci a établi de nouvelles bases et enrôlé une cinquantaine d’enfants afghans, selon des responsables afghans. Autre indice inquiétant: Daech a intensifié ses attaques à Kaboul, en commettant, fin décembre, trois attentats meurtriers, dont le dernier, perpétré vendredi 29 décembre contre un centre culturel chiite dans la capitale afghane, a fait 41 morts et 84 blessées. La veille, deux autres attentats ont été commis à Kaboul contre le bureau et le principal centre d’entraînement des services de renseignement afghans.
Arrivé en Afghanistan fin 2015, Daech a intensifié son action notamment à Kaboul, faisant de cette ville l’une des plus meurtrières pour les civils. Revendiquant son premier attentat en juillet 2016, il a, depuis, commis 15 attentats suicide dans la capitale afghane, faisant au moins 1100 morts, la majorité étant des civils. « Outre la menace talibane qui reste entière, Daech, qui contrôle la province du Nangarhar (Est) frontalière avec le Pakistan, va tenter d’élargir sa présence sur le reste du territoire, notamment à Kaboul en 2018 », prévoit Dr Mourad. Mais les deux groupes terroristes peuvent-ils fusionner? Il est vrai que les Talibans ont déclaré la guerre à Daech juste après son apparition sur le sol afghan, mais avec le temps, la situation a changé. Selon les autorités afghanes, une coopération a éclaté au grand jour en septembre dernier quand un village au nord du pays a été attaqué par les deux groupes de manière conjointe, faisant 50 morts. « Malgré quelques différences dans la doctrine et dans la stratégie d’action, les deux mouvements ont une même idéologie basée sur l’extrémisme religieux. De plus, ils ont un ennemi commun: les Etats-Unis. Mais, je pense que cette éventuelle collaboration ne va pas durer longtemps, car Daech frappe un peu partout. Par contre, les Talibans sont composés seulement de Pachtounes afghans et leur action n’existe qu’en Afghanistan », explique Dr Mourad.
Intenses efforts américains
Face à cette nouvelle menace, le président américain Donald Trump, qui a fait de la lutte contre Daech sa priorité, a décidé de prolonger le mandat de ses troupes et d’augmenter leur nombre (de 8400 à 14000 soldats) en Afghanistan, craignant qu’elle ne devienne, ou redevienne la nouvelle plaque tournante des djihadistes. Signe de l’engagement américain vis-à-vis de l’Afghanistan: le vice-président américain, Mike Pence, y a effectué, le 22 décembre dernier, une visite surprise au cours de laquelle il a notamment rencontré le président Ashraf Ghani pour affirmer son soutien à son pays face à la double menace de Daech et des Talibans.
Tout au long de l’année dernière, l’Administration Trump s’est déployée à combattre Daech en Afghanistan. Le 13 avril dernier, les Américains ont largué une bombe non nucléaire, la plus puissante qu’ils n’aient jamais utilisée au combat, sur un site djihadiste afghan. « Il va sans dire que Washington va redoubler ses efforts en 2018. Trump pourrait bien y envoyer des renforts », prévoit Dr Mourad.
Outre l’Afghanistan, en 2018, les djihadistes vont aussi tenter de s’implanter dans un autre pays aux conditions toujours propices à leur épanouissement: le Pakistan. Le 17 décembre dernier, un attentat suicide revendiqué par Daech a fait 9 morts et 44 blessés pendant la messe dominicale dans une église de Quetta, au sud-ouest du Pakistan. Le groupe terroriste a déjà revendiqué plusieurs attentats au Pakistan en 2017, dont le plus spectaculaire était son attaque contre un sanctuaire soufi au Baloutchistan qui avait fait 52 morts en juillet dernier. « Le Pakistan, comme l’Afghanistan, est un pays fragile miné par l’extrémisme religieux. Et le pouvoir d’Islamabad ne contrôle plus le nord du pays à la frontière afghane. Pourtant, je pense que Daech ne constituerait pas une menace majeure pour le Pakistan comme pour l’Afghanistan, car la situation sécuritaire est tout de même meilleure au Pakistan », explique le politologue.
Des alliances inattendues
Face à cette menace terroriste, les ministres des Affaires étrangères d’Afghanistan, du Pakistan et de la Chine se sont rencontrés fin décembre à Pékin où ils se sont convenus d’intensifier leur lutte contre Daech. Cette réunion est intervenue alors que la Chine tente depuis longtemps d’obtenir un appui de la communauté internationale pour s’attaquer aux menaces que fait peser, selon elle, l’infiltration des groupes terroristes radicaux dans le Xinjiang (région de l’ouest qui a des tendances séparatistes). Outre le soutien de Pékin, d’autres alliances inattendues vont naître en 2018 pour faire face à l’émergence de Daech.
A titre d’exemple, la Russie pourrait tenter de favoriser la réconciliation entre Kaboul et les Talibans afin de former un front commun contre Daech, les Talibans étant considérés comme un « moindre mal », notamment pour Moscou qui craint l’influence de Daech sur la communauté musulmane qui vit en Russie ou encore dans les anciens pays satellites de l’ex-Union soviétique, comme le Tadjikistan ou le Kirghizistan.
Plus important et plus étranger, la position de l’Iran. Depuis des mois, les forces de sécurité afghanes accusent le régime iranien d’offrir aux insurgés des drones et des matières explosives qu’ils utilisent ensuite dans des opérations suicide. Ce soutien iranien aux rebelles peut paraître illogique, car l’Iran (chiite) a entretenu des relations troublées avec le régime taliban (sunnite) au pouvoir de 1996 à 2001. « Les calculs politiques obligent les ennemis à s’allier. Pour Téhéran, Daech constitue une menace beaucoup plus forte que les Talibans. Son apparition en Afghanistan inquiète le régime chiite qui a dû s’allier avec les Talibans en 2016 afin de l’aider à bloquer toute infiltration de Daech en Iran », conclut Dr Mourad. C’est dire que la menace est bel et bien présente.
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