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Dr Amani Al-Tawil : L’un des problèmes actuels est que la crise des migrants est traitée uniquement du point de vue européen 

Sabah Sabet, Mardi, 05 décembre 2017

Dr Amani Al-Tawil, présidente du département des études africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, analyse la crise migratoire, un sujet au centre des débats du récent sommet Afrique-Europe.

Al-Ahram Hebdo : Depuis la diffusion d’une vidéo montrant des actes d’escla­vage contre des migrants africains en Libye, la crise migratoire est au centre des préoc­cupations internationales, elle a été un sujet prioritaire au récent sommet Afrique-Europe où il a été question du rapatrie­ment des migrants. Pensez-vous que ce soit la solution ?

Dr Amani Al-Tawil : Evidemment non. J’estime que rapatrier les migrants est une idée irréelle et inhumaine. Ceux qui sont arri­vés en Europe doivent plutôt être intégrés, réhabilités et bien formés, pour qu’ils puis­sent s’adapter et vivre au sein de ces commu­nautés.

— Mais l’Europe ne veut plus de ces migrants...

— En ce qui concerne l’arrêt du phénomène de migrations clandestines, la solution doit se trouver dans les pays d’émigration, mais aussi avec l’aide des pays d’immigration. Je pense que l’Europe doit être fortement impliquée dans le plan de l’Union Africaine (UA) 1363 qui renferme 10 grands projets de développe­ment. Car c’est dans de tels projets que réside la solution. C’est le développement qui pour­rait changer complètement la figure du conti­nent africain, freiner la pauvreté et donc limiter les migrations économiques.

— En attendant, l’Europe opte surtout pour une fermeture de ses frontières et recourt à des solutions sécuritaires. Comment évaluez-vous la politique euro­péenne actuelle ?

— L’Europe a des plans liés à des dimen­sions plutôt sécuritaires basées sur l’établisse­ment des bases militaires dans certains pays africains, comme le fait la France. Mais ces solutions ne doivent pas s’inscrire dans la durée, car elles ne règlent pas à elles seules la crise. Ce qu’il faut, c’est un plan sur le long terme, sur 50 ans, avec un financement euro­péen approprié de projets de développements menés par l’UA.

Jusqu’à présent, les solutions sécuritaires ont pris le dessus sur les solutions écono­miques. Malheureusement, les expériences passées ne donnent pas beaucoup d’espoir. Par contre, je pense que le président français, Emmanuel Macron, a une vision jeune et dif­férente en faveur des Africains. Reste à savoir s’il pourra la concrétiser. En fait, tout dépend de la volonté politique des pays européens, de leur vraie compréhension de cette crise, et par la suite de la façon d’y répondre.

L’un des problèmes actuels est que la crise des migrants est traitée uniquement du point de vue européen. Quand on pense aux défis de l’Afrique, il faut y penser d’un point de vue africain et non pas occidental, c’est-à-dire selon les visions d’avenir des Africains eux-mêmes, pas selon les visions des autres.

— Justement, quel rôle peuvent accom­plir aujourd’hui les Africains ?

— Si les pays africains réussissent une vraie transition démocratique qui assure la lutte de la corruption, la bonne gouvernance et la stabilité politique qui aboutissent à un vrai développement économique, les candi­dats au départ seront beaucoup moins nom­breux. En outre, les organisations non gouver­nementales et la société civile doivent être renforcées pour avoir un rôle plus effectif. Autre point très important et qui présente un défi en Afrique: la citoyenneté. Il faut conso­lider les valeurs de ce principe pour qu’elles remplacent celles de l’appartenance ethnique ou religieuse. Pendant longtemps, les conflits ethniques et religieux étaient soutenus par certains organismes et certains pays qui ont des agendas et qui veulent mettre leurs mains sur les ressources naturelles de l’Afrique. Il faut arrêter de soutenir ces conflits qui sont l’une des principales causes de la fuite de milliers d’Africains vers l’Europe.

— Vous avez cité les richesses de l’Afrique comme l’une des causes des troubles internes donc de l’émigration. Pourquoi ?

— C’est une question très importante et qui mérite d’être bien discutée. Les ressources sont exploitées de manière injuste, les accords d’indépendance donnent le droit aux anciens colons de bénéficier d’une part de ces res­sources. Ce qui doit être reconsidéré. Parallèlement, les multinationales travaillant en Afrique ont des pratiques douteuses et ne sont pas suffisamment surveillées. Elles ont recours aux pots-de-vin versés à l’élite, afin d’obtenir des droits d’exploitation à des prix avantageux. L’Afrique tourne dans un cercle vicieux: elle possède des richesses exploitées par l’élite sans que le peuple n’en tire profit. Résultat: la pauvreté et la misère perdurent, et les candidats au départ ne baissent pas, au contraire.

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