En érigeant une clôture au long de sa frontière avec l'Afghanistan, le Pakistan veut prouver sa bonne volonté à combattre le terrorisme.
(Photo: AFP)
Après plus de 16 ans d’intervention étrangère, le chaos sévit toujours en Afghanistan malgré la nouvelle stratégie de l’Administration Trump qui consiste à y envoyer des troupes supplémentaires pour ne pas créer un vide qui profiterait aux Talibans. Aux termes de la nouvelle stratégie américaine, entre 3 000 et 4 000 Américains vont renforcer les 11 000 soldats présents en Afghanistan, théâtre depuis 2001 de la plus longue guerre américaine. « Trump n’avait pas d’alternative : il devait augmenter ses troupes car il ne veut pas que ce pays se transforme en repaire du terrorisme international. Quoique prévu en 2014, le retrait des troupes américaines de l’Afghanistan reste impossible car il pourrait ramener les Talibans au pouvoir, gâchant des dizaines de milliards de dollars dépensés par Washington dans ce pays. Ce retrait serait synonyme de défaite pour Trump », explique Dr Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire.
Alors que cette hausse devrait relever le moral des troupes afghanes et altérer celui des Talibans, ce qui s’est passé sur le sol afghan est complètement le contraire. Des attaques talibanes quasi quotidiennes ont rendu cette semaine particulièrement meurtrière avec des attaques majeures dont la dernière a fait 15 morts samedi 20 octobre parmi les soldats de l’armée afghane. La veille, un attentat suicide a tué 50 soldats dans l’attaque de leur base dans le sud du pays. En une semaine, les rebelles ont mené cinq assauts meurtriers visant des forces de sécurité, armée et police, faisant 140 morts et 250 blessés, en utilisant des véhicules militaires remplis d’explosifs volés aux forces de sécurité. Selon Dr Mourad, cette vague d’attentats n’est qu’une démonstration de force après le renforcement des troupes américaines. En effet, ces attaques témoignent d’un changement de stratégie pour les Talibans qui se concentrent sur des objectifs purement sécuritaires après avoir tenté pendant des années d’attaquer des villes.
Mais comment donc les Talibans parviennent-ils à rester intraitables malgré les efforts et les fonds déployés par la coalition internationale pendant plus de 16 ans ? En fait, plusieurs facteurs les renforcent, dont la faiblesse du gouvernement afghan, inapte à étendre son pouvoir sur le pays et aussi la nature montagneuse du pays qui rend beaucoup de régions difficiles d’accès pour les forces de l’Otan. « De plus, la culture de l’opium constitue la principale source de financement pour les Talibans : l’Afghanistan est le premier pays du monde dans la culture de l’opium. Il faut aussi citer le soutien inlassable que procurent les tribus pachtounes aux rebelles qui appartiennent à la même ethnie. Enfin, il ne faut pas oublier qu’une bonne partie du peuple afghan — aux tendances islamistes — soutient les Talibans pour chasser les troupes étrangères. Tous ces facteurs rendent les efforts internationaux sans lendemain », explique Dr Mourad.
La Russie et le Pakistan pointés du doigt
Dans une tentative de se disculper de leur échec en Afghanistan, les Etats-Unis ont accusé la Russie de soutenir les Talibans et de leur fournir des armes et du pétrole pour les aider à gagner du terrain. Des accusations rejetées par Moscou. Pour le ministère russe des Affaires étrangères, le but des contacts limités entre Moscou et les Talibans était de les encourager à se joindre à la réconciliation nationale. « Jusqu’à présent, il n’y a pas de preuve que la Russie aide les Talibans. Si Moscou soutenait vraiment les rebelles, ce serait pour deux raisons : causer des troubles aux Etats-Unis et contrer Daech qui a fait son apparition dans le pays depuis deux ans », affirme le politologue.
Outre le soutien russe « présumé » aux Talibans, les Etats-Unis ont accusé cette semaine — comme d’habitude — le Pakistan de « laxisme » dans la lutte contre les Talibans. En effet, la région du sud-est en général, comme Kandahar et le Helmand, ayant une frontière commune avec le Pakistan, est considérée comme une place forte des Talibans et autres éléments armés en lutte contre le gouvernement afghan. « Dans sa position officielle, le gouvernement pakistanais combat les Talibans. Pourtant, il y a beaucoup d’éléments au sein du pouvoir et de l’armée qui soutiennent les Talibans. De plus, il y a une forte solidarité tribale avec les insurgés afghans : certaines tribus pachtounes au Pakistan soutiennent les Talibans de la même ethnie. Des intérêts économiques lient aussi certaines tribus pakistanaises aux Talibans comme le trafic d’armes et d’opium », explique Dr Mourad. Prenant en considération tous ces facteurs, Washington frappe fréquemment la frontière afghano-pakistanaise, bafouant la colère du pouvoir pakistanais.
Prouvant sa bonne volonté, le Pakistan a commencé cette semaine à ériger une clôture tout au long de sa poreuse frontière avec l’Afghanistan afin d’empêcher les Talibans de circuler entre les deux pays. « Cette clôture va aider à résoudre la crise. Sans une collaboration étroite et sincère du Pakistan, l’épine des Talibans afghans resterait incassable. Ce qui veut dire que le chaos va perdurer dans le bourbier afghan », conclut l’expert.
Daech, en recul, frappe toujours
En dépit de son recul en Afghanistan, Daech continue de signaler sa présence dans le pays. Dernier attentat en date : une mosquée chiite de Kaboul a été attaquée par ce réseau terroriste vendredi soir, faisant 56 morts et 55 blessés. Depuis l’été 2016, la minorité chiite d’Afghanistan est régulièrement visée par des attentats pour la plupart revendiqués par Daech, composé de sunnites, en particulier au moment de ses grandes célébrations religieuses. Faisant de la lutte contre Daech sa priorité par excellence, l’Administration Trump a mis la pression ces derniers mois sur le groupe djihadiste qui a fait son apparition en Afghanistan en 2015, promettant de l’éliminer du pays d’ici fin 2017. D’après l’Otan, les djihadistes ne compteraient plus que 600 à 700 combattants en Afghanistan, contre 3 000 début 2016 et ont perdu du terrain sous le coup des frappes aériennes américaines et des offensives terrestres de l’armée afghane. « Daech a fort reculé, se repliant dans quelques districts de la province du Nangarhar », a affirmé Bill Salvin, porte-parole des forces américaines en Afghanistan. Selon les experts, éliminer Daech du bourbier afghan serait comme « gagner une bataille », mais « la vraie guerre », c’est de casser les Talibans.
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