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L’accord sur le nucléaire iranien à l’épreuve

Maha Al-Cherbini avec agences, Lundi, 16 octobre 2017

Comme prévu, le président américain, Donald Trump, a refusé de certifier l'accord sur le nucléaire iranien, provoquant l'inquiétude des autres pays signataires et ouvrant une période de grande incertitude.

L’accord sur le nucléaire iranien à l’épreuve
Donald Trump a affirmé que les Iraniens ne respectent pas l'esprit de l'accord. (Photo:Reuters)

Il l’avait promis, il l’a fait. Neuf mois après son accession au pouvoir, le prési­dent américain, Donald Trump, a adressé un « coup mortel » à l’accord sur le nucléaire iranien, en décidant vendredi de « ne pas le certifier », affirmant que Téhéran n’en respectait pas « l’esprit ». Une accusation dou­teuse puisque l’Agence Internationale de l’Ener­gie Atomique (AIEA) a constamment confirmé le total respect de Téhéran à ce pacte conclu en juillet 2015 après des tractations difficiles avec les Six. Justifiant sa décision, Donald Trump a dénoncé le comportement de la « dictature ira­nienne », qui est à ses yeux l’un des principaux « soutiens au terrorisme » dans le monde. « Téhéran sème la mort, la destruction et le chaos à travers le monde. Avec cet accord, nous avons obtenu de faibles inspections en échange de rien de plus que de repousser, à court terme et temporairement, l’avancée de l’Iran vers l’arme nucléaire », a fustigé le numéro un amé­ricain, annonçant de nouvelles sanctions « dures » contre les Gardiens de la révolution, l’armée d’élite iranienne accusée de « soutenir le terrorisme ».

Bien qu’elle porte un coup dur au pacte, cette « non-certification » ne signifie pas sa « mort immédiate » car elle enverrait la balle dans le camp du Congrès : les parlementaires auraient 60 jours pour décider de ré-imposer ou non les sanctions levées depuis 2015. « Au cas où nous ne serions pas capables de trouver une solution avec le Congrès et nos alliés, l’accord sera abrogé », a mis en garde le président républi­cain, affirmant qu’il préfèrerait « durcir » le pacte plutôt que de l’abroger.

Difficile tâche pour le Congrès
Selon les experts, la tâche du Congrès ne serait pas facile car il va jouer le rôle d’« arbitre » pour durcir le texte sans le sabo­ter brusquement. « Les élus américains sont dans une situation embarrassante car ils doi­vent assurer leur fermeté contre l’Iran, tout en évitant de prendre la responsabilité de tuer unilatéralement l’accord soutenu par les grandes puissances. Le retour des sanctions à l’initiative du Congrès semble improbable car il signerait la mort du texte. Les parlemen­taires réalisent bien qu’abroger l’accord ne ferait que nuire à la crédibilité des Etats-Unis dans les négociations à venir sur la scène internationale. En plus, ils savent bien que toute nouvelle sanction contre l’Iran va irriter les superpuissances signataires du pacte, ce qui va isoler de plus en plus les Etats-Unis. Enfin, bon nombre d’élus réalisent l’impor­tance de ce texte pour la sécurité internatio­nale : il a permis d’en finir avec le cauchemar nucléaire iranien. Plusieurs membres de l’Ad­ministration Trump ont déjà reconnu que le texte était dans l’intérêt de la sécurité natio­nale des Etats-Unis. Je pense qu’au Congrès, l’issue la plus probable serait l’inaction et le statu quo. Le Congrès ne chercherait pas à ouvrir de nouveaux fronts de menace nucléaire au moment où la Corée du Nord inquiète la planète avec ses essais nucléaires incessants », analyse Dr Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. Sans surprise, les anciens de l’Administration démocrate de Barack Obama et les signataires américains du pacte sont montés au créneau pour dresser un sombre bilan des neuf premiers mois d’un président républicain sans expé­rience politique.

Outre le camp démocrate, plusieurs voix républicaines au sein du Congrès ont reconnu samedi qu’une sortie des Etats-Unis pourrait avoir des conséquences graves. « Bien que l’accord soit mauvais, j’estime qu’il faut qu’on l’applique jusqu’au bout », a déclaré le prési­dent républicain de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants, Ed Royce. « Nous proposons une voie qui com­blera les lacunes de l’accord », a expliqué Bob Corker, président de la commission des Affaires étrangères du Sénat. Pour l’heure, les élus entendent rendre permanentes les limites imposées sur le développement nucléaire ira­nien, des limites que l’accord de 2015 prévoit de graduellement lever à partir de 2025. Ce futur feu vert graduel donné à l’Iran est, pour les républicains, le défaut central de l’accord. « Le Congrès ne pourrait jamais durcir ou changer les clauses du pacte sans le consente­ment des autres pays signataires et de Téhéran. C’est un document international », explique Dr Mourad.

Inquiétude en Europe
Si l’Administration Trump martèle que « l’Amérique d’abord ne signifie pas l’Amérique seule », Washington risque — après cette déci­sion — d’être isolé tant les autres signataires défendent l’accord qu’ils qualifient de « bon » car il empêche l’Iran de se doter de l’arme ato­mique. D’où la colère de Moscou, Pékin, Paris, Londres et Berlin qui ont fait état de leurs inquiétudes après la menace du président améri­cain de mettre fin au texte. « Cette remise en cause de l’accord va isoler les Etats-Unis car les Européens s’attachent fort à un pacte conclu après une décennie de tractations difficiles. Partenaires économiques de Téhéran, les Européens auraient beaucoup à perdre d’une remise en cause de l’accord et vont chercher anxieusement à préserver les acquis d’un texte qu’ils jugent crucial pour la sécurité internatio­nale. L’Europe a tant mis en garde contre un retour en arrière aux conséquences imprévi­sibles. Elle n’a cessé d’insister sur le danger d’ouvrir une crise avec l’Iran au moment où la tension monte dangereusement dans le dossier nucléaire nord-coréen. C’est pourquoi les Européens vont afficher leur fort soutien à l’ac­cord et vont se ranger aux côtés de Téhéran les jours à venir. Ceci dit, l’accord va fonctionner, mais sans les Etats-Unis », explique le politolo­gue. En effet, Paris, Berlin et Londres ont affir­mé qu’ils restaient fort « engagés » dans l’ac­cord. « Aucun pays au monde ne peut mettre fin seul à une résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies qui a été adoptée, et adoptée à l’unanimité », a affirmé la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, estimant que l’accord « fonctionne et tient ses promesses ». Affichant son soutien au pacte, le président fran­çais, Emmanuel Macron, va se rendre en Iran, à l’invitation du président Hassan Rohani, la pre­mière visite d’un chef d’Etat ou de gouverne­ment français en Iran depuis 1971. Soucieuse de sauver l’accord, la France a appelé samedi le Congrès à ne pas « tuer » l’accord et s’est dit prête à avoir des discussions « musclées » avec Téhéran sur les sujets qui provoquent l’ire de Washington. Même soutien affiché par la Russie dont le ministère des Affaires étrangères a dénoncé la stratégie américaine à l’égard de l’Iran, soulignant que l’accord reste « intact ». « En fin de compte, Trump ne fait qu’isoler son pays car l’accord va fonctionner et les Etats-Unis ne font que perdre leur crédibilité », affirme Dr Mourad.

Téhéran affirme son attachement à l’accord
Reste à savoir quelle sera l’attitude de Téhéran après ces récentes évolutions et s’il est possible qu’il se retire de l’accord. Samedi, les Iraniens ont réagi avec colère et moquerie aux propos belliqueux de Trump, mais aucun indice ne montre que la République islamique a l’inten­tion d’abroger le pacte : toutes les déclarations des responsables iraniens étaient contre les Etats-Unis et pas contre le pacte. « Aujourd’hui, les Etats-Unis sont plus seuls que jamais face à l’accord nucléaire et plus seuls que jamais dans leurs complots contre le peuple iranien. Les Américains ont agi contre l’honneur et les inté­rêts nationaux des Etats-Unis », a lancé le prési­dent Rohani, soulignant que les 28 pays de l’Union européenne et les autres pays du monde sont aux côtés de l’Iran. M. Rohani a également dénoncé la politique américaine à ses frontières, en accusant Washington d’avoir créé l’insécurité en Afghanistan et en Iraq. Furieux, le chef de la diplomatie iranienne, Javad Zarif, a affirmé que le discours de Trump « viole l’accord nucléaire », affirmant la bonne foi de son pays et des autres pays signataires. Selon Dr Mourad, le régime des mollahs ne va jamais tomber dans le piège que lui tend l’Administration Trump qui tente de le pousser à enfreindre l’accord. « Pour Téhéran, ce pacte est une vraie bouée de sauvetage. Il est difficile qu’il y renonce quelles que soient les exacerbations américaines. Grâce à ce pacte, l’Iran a récupéré comme première étape 32 milliards de dollars gelés dans les banque inter­nationales, qui lui ont permis de promouvoir son économie, il a rejoint le concert des nations après des années d’isolement, il a fait de grands investissements avec les superpuissances. De plus, toutes les sanctions à son encontre étaient levées sauf quelques sanctions américaines. Il est illogique que Téhéran se retire de ce pacte : il va au contraire laisser l’Administration Trump enfreindre les termes de l’accord pour la discré­diter aux yeux de la communauté internationale. Et puis l’Iran n’est pas seul dans sa guerre contre Washington : il est soutenu par les plus grandes économies de la planète, dont la Russie, la Chine et tout le club européen. Si Trump imposait de nouvelles sanctions contre l’Iran, elles seraient sans grande efficacité sur l’écono­mie iranienne », conclut le politologue.

Enfin, on peut dire que la position de Trump vis-à-vis de l’Iran est une nouvelle attaque contre le multilatéralisme qui risque, au nom du slogan « l’Amérique d’abord », d'accuser un coup dur. L’accord iranien vient s’ajouter à la liste longue des engagements ou organisations internationaux que Washington a délaissés dont l’accord de Paris sur le climat et l’Unesco.

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