C’est dans un contexte mondial particulier — dominé par la tension entre d’une part Washington et Pyongyang, accusé de vouloir se doter de l’arme nucléaire, et d’autre part Washington et Téhéran, également à cause de l’accord sur le nucléaire —, que le Prix Nobel de la paix a été attribué vendredi 6 octobre à la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN). « Nous vivons dans un monde où le risque que les armes nucléaires soient utilisées est plus élevé qu’il ne l’a été depuis longtemps », a souligné la présidente du comité Nobel norvégien, Berit Reiss-Andersen. L’ICAN, coalition regroupant des centaines d’ONG, s’est donc vu attribuer la prestigieuse récompense pour avoir contribué à l’adoption cette année d’un traité historique d’interdiction de l’arme atomique : le 7 juillet dernier à l’Onu, 122 pays ont adopté un traité qui pose pour la première fois le principe de l’interdiction de mettre au point, stocker ou menacer d’utiliser l’arme atomique. Un traité dont la portée est toutefois bien limitée puisque les 9 puissances nucléaires — Etats-Unis, Russie, Chine, Inde, Pakistan, Israël, France, Royaume-Uni, Corée du Nord — ont toutes refusé d’y adhérer.
Profitant de ce Nobel, l’ICAN a lancé un appel aux nations pour qu’elles interdisent « maintenant » l’arme atomique. « C’est un moment de grande tension dans le monde, alors que les déclarations enflammées pourraient nous conduire tous très facilement, inexorablement, vers une horreur sans nom », a déclaré l’ICAN dans un communiqué. « Le spectre d’un conflit nucléaire plane à nouveau largement. S’il y avait un moment pour que les nations déclarent leur opposition sans équivoque aux armes nucléaires, ce moment serait maintenant », a ajouté l’organisation, sans toutefois citer directement les vives tensions actuelles autour du nucléaire avec la Corée du Nord.
Le choix de donner ce Nobel à l’ICAN est donc loin d’être fortuit, d’autant plus que parmi les favoris du Prix Nobel de la paix figuraient les artisans de l’accord conclu en 2015 entre 6 puissances mondiales et l’Iran pour éviter que Téhéran ne se dote de la bombe atomique, notamment John Kerry, alors chef de la diplomatie américaine, et Mohammad Javad Zarif, toujours ministre iranien des Affaires étrangères. Et ce, au moment où le président américain, Donald Trump, ne cesse de répéter qu’il s’agit du pire accord de l’histoire, et, qui plus est, menace régulièrement de le remettre en cause.
Fort heureusement pour M. Trump, le comité a préféré l’ICAN plutôt que les artisans de l’accord avec l’Iran, auquel il est farouchement hostile, ce qui aurait non seulement indigné le président américain, mais aussi aurait sonné comme une gifle à son encontre. Le choix de l’ICAN est donc un moindre mal, mais qui n’est pas sans déplaire à Washington. Les Etats-Unis ont d’ailleurs réagi sèchement, estimant que le traité d’interdiction de l’arme atomique défendu par l’ICAN « ne rendra pas le monde plus pacifique, n’aboutira pas à la destruction de la moindre arme nucléaire et ne renforcera pas la sécurité d’aucun Etat », selon un porte-parole du département d’Etat américain, qui a aussi souligné que le texte porté par l’ICAN n’est soutenu par aucun pays détenteur de la bombe atomique. « L’annonce d’aujourd’hui ne change pas la position des Etats-Unis sur ce traité », qui « ignore les défis sécuritaires actuels rendant la dissuasion nucléaire nécessaire », a-t-il insisté, quelques heures après l’attribution du Nobel à l’ICAN. En revanche, prié de dire si ce Nobel pouvait être interprété comme un message à l’Administration américaine de Donald Trump avant sa décision très attendue sur le sort de l’accord sur le nucléaire iranien, le département d’Etat n’a en revanche pas répondu. Ce Nobel fera-t-il donc changer d’avis le président américain, qui s’apprêterait « dans les prochains jours », à refuser de « certifier » devant le Congrès ? Pas sûr, répondent certains observateurs, alors que d’autres pensent au contraire que le message du Nobel tombe peut-être à point nommé et peut être certainement reçu aussi bien par le Congrès que par le reste de la communauté diplomatique américaine.
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