« Un cauchemar humanitaire ». C’est l’expression utilisée par le patron des Nations-Unies, Antonio Guterres, pour décrire la situation tragique de la minorité rohingya musulmane au Myanmar, en proie à une vague d’«
épuration ethnique » de la part de l’armée birmane et des milices bouddhistes depuis le 25 août dans l’Etat Rakhine (ouest). Une persécution qui n’est pas nouvelle pour cette minorité musulmane dans un pays à plus de 90 % bouddhiste. Jusqu’à présent, tous les appels de la communauté internationale à mettre fin à la répression contre les Rohingyas restent lettre morte.
Plus d’un mois après le début de la crise, l’exode des Rohingyas a connu cette semaine un nouveau deuil avec le naufrage tragique de 60 musulmans près du Bangladesh, fuyant les violences et la répression. Selon l’Onu, plus d’un million de musulmans ont fui leur pays à destination du Bangladesh depuis le 25 août, soit l’un des plus importants déplacements de population de ce début de XXIe siècle en Asie. Face à ce drame humanitaire, une rare réunion publique du Conseil de sécurité de l’Onu sur le Myanmar — la dernière remonte à 2009 —, a eu lieu cette semaine alors que les dernières réunions depuis l’éclatement de la crise fin août avaient toutes été à huis clos. Or, cette première rencontre publique depuis huit ans a étalé au grand jour des divisions profondes entre les superpuissances sur la crise birmane : alors que les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni ont fortement dénoncé le « nettoyage ethnique » de la minorité rohingya, la Russie et la Chine ont appelé au dialogue avec le gouvernement du Myanmar. « La réalité du terrain demande une action rapide pour protéger les gens, atténuer les souffrances, empêcher plus d’instabilité, s’occuper des racines du problème et assurer une solution durable », s’est insurgé le secrétaire général des Nations-Unies, Antonio M. Guterres, demandant au gouvernement birman un « accès humanitaire » dans la zone de conflit et « le retour en sécurité, volontaire, digne et durable » dans leurs régions d’origine des réfugiés ayant fui au Bangladesh. « Les dirigeants birmans, qui ont tant sacrifié pour un Myanmar ouvert et démocratique, devraient avoir honte », a ajouté l’ambassadrice américaine à l’Onu Nikki Haley, dans une allusion à la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la paix, très critiquée pour sa gestion de la crise.
Dans le cadre des protestations internationales, une coalition de 90 organisations non gouvernementales ont dénoncé vendredi des « crimes contre l’humanité », demandant au Conseil de sécurité d’accentuer la pression sur le Myanmar en étudiant sérieusement l’imposition d’un embargo sur les armes contre les militaires birmans et des sanctions ciblées contre les responsables de crimes et d’abus à l’encontre de civils.
Soutien prudent de Pékin et Moscou
Sous le feu des critiques, le gouvernement du Myanmar a dénoncé un parti pris pro-rohingya de la communauté internationale. « Il n’y a ni nettoyage ethnique, ni génocide », a défendu Thaung Tun, conseiller à la sécurité nationale devant l’Onu. Or, dans sa guerre contre la communauté internationale, la Birmanie ne manque pas d’alliés : la Russie et la Chine. « Il faut être très prudent quand on parle de nettoyage ethnique, de génocide », a affirmé l’ambassadeur russe Vassily Nebenzia, en affirmant que « des terroristes avaient incendié des villages ». En fait, la Russie est un partenaire du Myanmar avec qui elle a signé un accord de coopération militaire l’année dernière qui implique des livraisons d’avions de guerre et de pièces d’artillerie.
Quant à la Chine, son cas est beaucoup plus compliqué car elle reste le principal soutien économique de ce pays où elle compte d’importants intérêts économiques, notamment dans l’ouest, théâtre de la campagne de répression de l’armée birmane contre les Rohingyas. Comme de nombreuses autres régions birmanes, l’Etat Rakhine (ouest) regorge de richesses souterraines, notamment de gaz. « Nous soutiendrons le Myanmar pour qu’il rétablisse la situation », a déclaré le représentant chinois au Conseil de sécurité, Wu Haitao.
Autre signe de ce soutien chinois : la Chine s’est « dissociée » cette semaine de la résolution du Conseil des droits de l’homme de l’Onu qui a adopté par consensus une résolution prolongeant de six mois le mandat de la mission d’établissement des faits en Birmanie chargée d’enquêter sur les violations commises dans ce pays. En fait, cette mission d’enquête de l’Onu a été établie en mars dernier par l’adoption d’une résolution, par consensus, par le Conseil des droits de l’homme de l’Onu, mais la Chine s’était aussi dissociée de ce texte. Les enquêteurs étaient censés présenter leur rapport final en mars 2018, mais, ils ont demandé une extension de six mois de leur mandat, estimant avoir besoin de plus de temps pour réaliser correctement leur travail. « Nous espérons que le gouvernement birman comprendra l’avantage de coopérer avec notre mission », a lancé l’ambassadeur estonien, Andre Pung, au nom de l’Union européenne. Un appel qui risque de rester lettre morte.
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