Le taux de participation a dépassé les 72 %. (Photo : Reuters)
Envers et contre tout et tous, le Kurdistan iraqien a organisé son référendum d’indépendance lundi 25 septembre comme prévu. Si les résultats de ce référendum, attendus à partir de ce mercredi, ne font pas de doute, la majorité des Kurdes étant acquis au «
oui », leur rêve d’indépendance chéri depuis un siècle, la question sera surtout de savoir si ce scrutin — où le taux de participation a dépassé les 72 % —, est suffisant pour que ce rêve se réalise, et comment les choses vont évoluer dans la période à venir. Car la tension est à son comble aussi bien à l’intérieur de l’Iraq, entre Erbil (capitale de la région autonome du Kurdistan) et le pouvoir central de Bagdad, que dans la région dans la totalité.
Commençons par la situation à l’intérieur de l’Iraq, où ce référendum a ravivé les tensions. Quelques heures à peine après le début du vote lundi, le parlement iraqien à Bagdad, en présence des députés arabes et en l’absence de leurs camarades kurdes, a voté une résolution « exigeant du commandant en chef de l’armée (le premier ministre, Haider Al-Abadi) de déployer des forces dans toutes les zones » disputées par Bagdad et la région du Kurdistan, et « prises » par les Kurdes.
Constitutionnellement, le gouvernement est tenu de s’y conformer, car les territoires disputés sont situés hors du Kurdistan.
Ces régions sont la riche province pétrolière de Kirkouk et des secteurs de celle de Ninive, de Dyala et de Salaheddine. La plupart avaient été conquises par les Peshmergas, les combattants kurdes, en 2014, à la faveur du chaos qui a régné dans le pays après l’offensive des djihadistes de Daech. Et les Kurdes n’ont pas manqué de saisir cette occasion : le scrutin a été aussi organisé à Kirkouk, située hors du Kurdistan. Ce qui augure non seulement de crispations entre Erbil et Bagdad, mais aussi de possibles troubles intercommunautaires. En effet, à Kirkouk, l’affluence a été importante dans les quartiers kurdes, mais dans cette ville disputée, Arabes et Turkmènes ont par contre boudé l’isoloir et ont manifesté leur mécontentement. Un couvre-feu a d’ailleurs été décrété lundi soir dans le centre de Kirkouk ainsi que dans les secteurs arabe et turkmène « pour éviter des frictions ».
Sur le plan politique, le président du Kurdistan iraqien, Massoud Barzani, s’est montré inflexible. D’un côté, il a affirmé que ce vote ne serait pas aussitôt suivi d’une déclaration d’indépendance mais marquerait le début de « discussions sérieuses » avec Bagdad pour régler les contentieux, de l’autre, il a insisté sur le fait que « le partenariat avait échoué avec Bagdad ». « Nous sommes arrivés à la conviction que l’indépendance permettra de ne pas répéter les tragédies du passé », a-t-il déclaré à la veille du scrutin. Mais à Bagdad, M. Abadi a refusé le divorce. « Prendre une décision unilatérale affectant l’unité de l’Iraq et sa sécurité ainsi que la sécurité de la région est contre la Constitution et la paix civile », a-t-il insisté, promettant de prendre « les mesures nécessaires » pour préserver l’unité d’Iraq.
Colère des voisins de l’Iraq
Ce qui augure de lendemains difficiles, pas seulement à cause de la situation à l’intérieur de l’Iraq, mais aussi de la position des voisins de ce pays, largement concernés par l’enjeu kurde. Pour Bagdad, Ankara, Damas ou Téhéran, le risque est clair : que ce scrutin fasse tache d’huile et que la carte de la région, dessinée après la Première Guerre mondiale sur les dépouilles de l’Empire ottoman, soit redessinée. C’est cette même carte, issue du traité de Lausanne de 1923, que les Kurdes n’ont jamais acceptée, voyant alors leur Etat rêvé morcelé en quatre. Ces trois pays qui abritent aussi des minorités kurdes ont rejeté le référendum et insisté sur l’unité de l’Iraq. La Turquie, première concernée, a annoncé lundi une prochaine fermeture de la frontière terrestre avec cette région de l’Iraq et menacé d’en stopper les exportations pétrolières via la Turquie (voir encadré), et l’Iran a fermé ses frontières aériennes avec le Kurdistan iraqien à la demande du gouvernement de Bagdad.
Côté international, le référendum est aussi mal passé. Les Etats-Unis sont « profondément déçus de la décision du gouvernement régional du Kurdistan de mener aujourd’hui un référendum unilatéral sur l’indépendance », a indiqué lundi soir un communiqué du département d’Etat, craignant que ce scrutin n’« augmente l’instabilité et les difficultés » de la région. Les « Etats-Unis soutiennent un Iraq uni, fédéral, démocratique et prospère », a insisté ce communiqué, alors que le chef de l’Onu, Antonio Guterres, s’est, lui, dit « préoccupé » par le risque de déstabilisation, appelant au « dialogue et à des compromis ».
Autant d’obstacles dont les Kurdes sont conscients. Mais si ces derniers savent que la création de leur Etat indépendant n’est pas pour demain, ils espèrent au moins avoir fait le premier pas.
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