La tension est à son comble entre l’Allemagne et la Turquie, deux pays qui, quoique partenaires sur le dossier migratoire et la lutte contre Daech, sont en pleine brouille depuis le putsch manqué de juillet 2016 en Turquie. Sur fond de graves tensions, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a exhorté, dimanche, ses ressortissants à faire preuve de «
prudence » en Allemagne et à éviter les rassemblements politiques durant la campagne des législatives allemandes, prévues le 24 septembre, où ils peuvent être les cibles de xénophobie ou de traitement raciste. Dimanche 10 septembre, Angela Merkel a rejeté ces appels du gouvernement turc, insistant sur l’engagement de son pays au respect de la liberté d’opinion et de l’Etat de droit.
Exacerbant les tensions bilatérales, M. Erdogan a appelé la semaine dernière les Turcs d’Allemagne (première communauté étrangère dans le pays) à ne pas voter pour le parti d’Angela Merkel, de quoi irriter cette dernière qui a tenté « d’instrumentaliser » l’UE dans ses différends avec Ankara, annonçant vouloir discuter d’un arrêt des négociations d’adhésion de la Turquie avec le club européen. « Il est clair que la Turquie ne doit pas devenir un membre de l’Union européenne », a-t-elle déclaré. Pourtant, la chancelière allemande a vu sa proposition accueillie par un « non » poli de la plupart de ses 27 partenaires de l’UE lors de leur réunion vendredi dernier. Hormis l’Autriche qui appelle à cesser ces pourparlers, les Européens ne sont pas enthousiastes pour un arrêt des discussions d’adhésion turque à l’UE. « La Turquie est un pays avec lequel nous travaillons sur des dossiers fondamentaux, stratégiques, pour nous comme pour eux : la lutte antiterroriste, la réunification de Chypre, la Syrie et le dossier migratoire. Travailler ensemble est obligatoire », a mis en garde la chef de la diplomatie de l’UE, Federica Mogherini. Se félicitant de ce refus, le ministre turc des Affaires européennes, Ömer Celik, a affirmé : « L’UE ne devrait pas être utilisée comme un outil pour répondre à des problèmes bilatéraux ».
Selon Dr Norhane Al-Cheikh, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire, les 27 veulent « éviter les ruptures » avec Ankara, pilier de l’Otan, dont l'armée est la deuxième après les Etats-Unis, et aussi un partenaire stratégique dont l’UE ne peut se passer. « Il est vrai qu’il y a une accumulation de divergences entre Ankara et Berlin surtout après le coup d’Etat manqué en Turquie, mais les Européens ne vont pas admettre que Berlin se serve de la carte d’adhésion turque à l’UE dans ses divergences avec Ankara », dit-elle. Et d’ajouter : « Ni l’UE ni Ankara ne sont prêts à sacrifier leurs relations bilatérales : chaque camp tente de faire pression sur l’autre, une sorte de chantage. On peut dire qu’il y a un mariage forcé entre les deux camps. D’une part, Ankara profite de l’accord migratoire conclu en 2016 avec l’UE et ne va jamais l’abroger, car il en tire des gains financiers qui pourraient atteindre les 6 milliards d’euros. D'autre part, le club européen a fort besoin d’Ankara, car l’accord migratoire a permis de stopper l’afflux des réfugiés en Europe par les îles grecques en mer Egée ».
Vers un apaisement ?
Cela dit, la crise est amenée, tôt ou tard, à se dissiper. Alors qu’une précédente visite a été annulée par Ankara, une délégation de députés allemands a rendu visite, vendredi, à des soldats de la Bundeswehr stationnés à Konya (centre de la Turquie). La délégation était composée de sept parlementaires allemands de différents partis et menée par la secrétaire générale adjointe de l’Otan, Rose Gottemoeller. « Nous avons été reçus par des responsables haut gradés et la partie turque était clairement désireuse d’apaiser les tensions. La visite a été un pas dans la bonne direction », a affirmé le député Rainer Arnold. Autre signe d’apaisement : les deux ressortissants allemands arrêtés la semaine passée en Turquie pour des liens présumés avec le réseau du prédicateur Fethullah Gülen, accusé par Ankara de fomenter le putsch manqué, ont été libérés cette semaine. Au total, 55 sont emprisonnés en Turquie, dont 12 pour des raisons politiques.
Dans cette perspective d’apaisement, le commissaire européen à l’Elargissement, Johannes Hahn, a promis un rapport au « printemps de l’année prochaine » au plus tard pour voir comment la situation des droits de l’homme évolue en Turquie. Il devra notamment évaluer si le pays respecte les critères de Copenhague en vigueur pour les pays candidats, et c’est sur la base de ce document qu’une décision pourra éventuellement être prise.
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