Les musulmans d'Espagne ont manifesté contre le terrorisme de Daech.
(Photo : AFP)
Ce n’est pas la première fois que Daech frappe en Europe. Les deux derniers attentats commis en Espagne jeudi dernier font suite à une longue série d’attentats menés depuis début 2015 en Europe, dont la majorité a été revendiquée par l’Etat Islamique (EI). Selon l’organisation terroriste, il s’agit d’une «
réponse » aux frappes de la coalition internationale anti-djihadiste en Syrie et en Iraq. Dimanche 20 août, le ministre espagnol de l’Intérieur a affirmé qu’une cellule d’une douzaine de personnes, dont la plupart sont des Marocains radicalisés, était complètement «
démantelée ». «
La cellule responsable des attentats préparait plusieurs attentats à la bombe à Barcelone avec 120 bonbonnes de butane retrouvées dans une maison à Alcanar (200 kilomètres de la capitale catalane) », a annoncé la police le même jour. Le lendemain, la police catalane a affirmé que le conducteur de la camionnette était un Marocain de 22 ans qui est recherché partout dans le pays.
Mais pourquoi l’Espagne ? « Il n’y a pas de volonté délibérée chez Daech de frapper l’Espagne, c’est toute l’Europe qui est visée », répond Dr Mohamad Kachkouch, expert au Centre régional des études stratégiques. « L’EI frappe là où il peut pour prouver qu’il est toujours fort après sa déroute en Iraq et en Syrie. Il veut hausser le moral de ses combattants en frappant tous les pays qui appartiennent à la coalition internationale anti-djihadiste », explique l’expert.
Pour l’heure, au moins 35 nationalités figurent parmi les victimes des attentats de Barcelone et Cambrils, mais le pays qui a été le plus touché était la France (30 Français blessés dont 5 dans un état grave), selon le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. « La France paie un lourd tribut dans cette terrible attaque de Barcelone », a déploré le président français, Emmanuel Macron, tout en témoignant sa forte solidarité aux côtés de l’Espagne. Selon Dr Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, la France a raison de s’inquiéter car il est le pays qui a été le plus ciblé par Daech, et c’est pour deux raisons. La première est qu’elle abrite le plus grand nombre d’immigrés maghrébins musulmans. « La seconde, voire la troisième génération de ces immigrés se sent exclue et victime d’injustice sociale en France. C’est pourquoi ces jeunes y commettent des attentats terroristes », explique le politologue. Le second motif est que la France est l’un des pays les plus actifs au sein de la coalition internationale anti-Daech. En outre, les djihadistes l’avaient ciblée plusieurs fois. Parmi les attaques les plus spectaculaires en France figure celle de novembre 2015 quand la France était frappée par les pires attaques terroristes de son histoire contre le théâtre du Bataclan, faisant 130 morts et 350 blessés. La plus récente semble celle qui a visé le 7 janvier 2017 le siège de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo faisant 12 morts à Paris.
La recherche du spectaculaire
A ce propos, il faut noter qu’il y a un certain changement dans la stratégie terroriste de Daech : au lieu de recourir à des explosifs et des bombes, les djihadistes ont opté pour des moyens en main comme une voiture ou un couteau pour propager la terreur. Cette stratégie a été préconisée dès 2005 par Al-Qaëda, mais c’est Daech qui a commencé à l’appliquer. « Il s’agit d’une stratégie peu coûteuse qui vise à épuiser l’ennemi faute de pouvoir l’affronter frontalement, en utilisant n’importe quel moyen pour faire des victimes sur le coup. Les djihadistes ne recherchent plus l’intensité de l’action avec des moyens spectaculaires comme des explosifs ou des fusillades, mais plutôt la régularité pour terroriser l’Europe. Des attaques aux voitures, aux bonbonnes de gaz ou aux couteaux sont faciles à organiser, impossibles à empêcher et d’une efficacité extraordinaire. Une camionnette qui fonce dans la foule est une sorte de terrorisme qui ne nécessite pas d’équipements ou de combattants expérimentés. On n’a besoin que d’une voiture et d’un homme qui sait conduire. Daech a déjà utilisé ce genre d’attentats à Nice, Berlin, Londres et Stockholm. Face à ce genre d’attaques difficiles à contrôler, plusieurs pays européens ont déployé des blocs de béton et des sacs de sable sur les grandes places pour protéger la population. Une stratégie qui pourrait amoindrir le bilan des attentats mais jamais les empêcher », estime Dr Mourad.
Preuve que cette nouvelle stratégie va se répandre en Europe : un Marocain de 18 ans a poignardé vendredi à mort 2 personnes et en a blessé 8 autres dans la ville de Turku (sud-ouest de la Finlande). Même si cette attaque n’était pas revendiquée par Daech jusqu’à présent, mais c’est ce groupe terroriste qui a inspiré les musulmans radicalisés à utiliser les moyens en main pour propager la terreur.
Outre l’Europe, l’EI a revendiqué samedi une attaque au couteau ayant fait 7 blessés dans la ville russe de Sourgout et dont l’auteur a été abattu par la police. Le 3 avril dernier aussi, un attentat revendiqué par Daech dans le métro de Saint-Pétersbourg (nord-ouest) avait fait 16 morts et des dizaines de blessés. « Depuis le début de son intervention militaire en Syrie le 30 septembre dernier, la Russie, alliée au régime de Damas, a, elle aussi, été menacée de représailles par les djihadistes. N’oublions pas que la Russie est le pays qui combat Daech le plus en Syrie. Il s’agit de faire pression sur tous les pays participant à la coalition anti-djihadiste sans exception », explique Dr Mourad.
Pour l’heure, plusieurs facteurs renforcent l’hypothèse d’une propagande terroriste dans l’Union européenne et peut-être aussi en Russie les jours à venir. En pleine déroute en Iraq et en Syrie, les djihadistes tentent d’ouvrir de nouveaux fronts de combat en dehors de leurs zones de conflit. Après s’être emparé en 2014 de vastes territoires en Iraq et en Syrie, l’EI a perdu ces deux dernières années beaucoup de terrain face aux offensives de la coalition internationale anti-djihadiste. Même au Liban, Daech semble sous forte pression au Moyen-Orient que ce soit en Syrie, en Iraq ou à la frontière libano-syrienne (voir article page 11).
La problématique du retour des djihadistes européens
Autre facteur à renforcer l’hypothèse des frappes terroristes en Europe, le retour dans l’UE des milliers de combattants possédant une riche expérience militaire après leur défaite en Syrie et en Iraq. Selon un rapport du Réseau européen de sensibilisation à la radicalisation créé par la Commission européenne, entre 1 200 et 3 000 Européens ayant vécu ou combattu avec Daech pourraient revenir en Europe après leur défaite au Moyen-Orient. « La plupart des pays membres de l’Union européenne s’attendent à une augmentation lente mais progressive des retours de combattants de Daech », met en garde le rapport qui estime qu’environ 30 % « sont déjà rentrés dans l’UE ». Selon Dr Kachkouch, le vrai danger désormais c’est la migration des djihadistes vers la Libye et pas vers l’Europe. « Les combattants les plus radicalisés iraient en Libye car le terrain y est beaucoup plus fertile pour eux : chaos, grand désert, facilité d’armement, instabilité politique et aussi il y a le pétrole qui serait une bonne source de financement pour les djihadistes. Ceux qui iraient en Europe vont intégrer des cellules terroristes dormantes et vont commettre des attaques individuelles comme des accidents de voitures ou à couteau. Même si Daech se fragilise en Iraq et en Syrie, ceci ne dit pas sa fin imminente. Les djihadistes de l’EI pourraient former des groupes terroristes sous d’autres noms et reprendre leurs activités à aucun autre moment », conclut Dr Kachkouch.
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