Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, effectuera une visite en Iran pour des entretiens avec de hauts responsables iraniens. C’est ce qu’a rapporté, jeudi 17 août, le journal Teheran Times. Une annonce faite au lendemain de deux rencontres importantes : la première, à Téhéran, entre un responsable du ministère iranien des Affaires étrangères, Ebrahim Rahimpour, et le sous-secrétaire du ministère turc des Affaires étrangères, Umit Yalcin ; la deuxième, à Ankara, plus significative, entre Erdogan, son chef d’état-major, Hulusi Akar, et le chef d’état-major iranien, Mohammad Bagheri. Peu de précisions ont été données bien que la visite du chef d’état-major iranien ait duré trois jours, sinon quelques déclarations d’ordre général. « L’insécurité » causée par des « groupes terroristes » au niveau de la frontière entre l’Iran et la Turquie « ont conduit le général Bagheri (...) à se rendre en Turquie pour examiner les moyens disponibles pour lutter contre ces groupes avec la Turquie », a ainsi déclaré le général Ramezan Sharif, porte-parole des Gardiens de la révolution, selon des propos rapportés par l’agence officielle iranienne IRNA. Il n’était pas précisé à quels groupes terroristes il faisait allusion. « Actuellement, du fait de la situation dans la région et parce que nous partageons des frontières (...), nous devons discuter avec ce pays sur différents sujets », a-t-il poursuivi. Le général Mohammed Bagheri a, lui, précisé que les deux pays se sont « entendus sur un entraînement conjoint et des échanges d’étudiants », a rapporté le quotidien turc Hürriyet, citant des médias iraniens.
Officiellement, il s’agissait de parler sécurité frontalière, Syrie et Iraq. Officieusement, il s’agissait de la « menace » kurde, comme le pensent les Iraniens, et à un plus grand niveau, les Turcs. C’est en effet sur cette question que Téhéran et Ankara ont des vues convergentes, alors que sur la Syrie, un antagonisme de base les sépare : la Turquie cherche à évincer le président Assad pour mettre fin à la guerre, alors que l’Iran demeure l’un des principaux alliés et soutiens du président syrien. Mise à part la Syrie, les relations entre la Turquie sunnite et l’Iran chiite ont souvent été tendues, M. Erdogan ayant évoqué par le passé le danger du « nationalisme persan », notamment en Iraq.
Au sujet de la question kurde en revanche, les intérêts se joignent, d’autant plus qu’approche la tenue du référendum d’indépendance du Kurdistan iraqien, le 25 septembre prochain. La Turquie et l’Iran possèdent d’importantes minorités kurdes et s’y opposent avec véhémence.
Avertissements turco-iraniens
Le Kurdistan iraqien, dirigé par le Gouvernement Régional du Kurdistan (GRK), est situé dans le nord de l’Iraq et il constitue la seule région autonome du pays et une démocratie parlementaire. Les Kurdes le considèrent comme l’une des quatre grandes régions du Grand Kurdistan souhaité, qui comprendrait également le sud-est de la Turquie, le nord de la Syrie et le nord-ouest de l’Iran.
Ni Téhéran, ni Ankara ne veulent d’une entité kurde indépendante dans la région. Et ils n’ont ni caché leur opposition, ni leur inquiétude quant à ce référendum. Pour le chef d’état-major iranien, ce référendum pourrait signifier le début de nouvelles tensions qui affecteront négativement les pays voisins. Pour le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, il « peut mener jusqu’à une guerre civile » en Iraq.
Dans cette opposition virulente au référendum d’indépendance du Kurdistan iraqien — une affaire théoriquement interne —, l’argument des deux pays repose sur un principe de base : le maintien de l’intégrité territoriale des pays de la région. Tant le responsable du ministère iranien des Affaires étrangères, Ebrahim Rahimpour, que le sous-secrétaire du ministère turc des Affaires étrangères, Umit Yalcin, l’ont réaffirmé lors de leur rencontre la semaine dernière à Téhéran.
Or, l’opposition de la Turquie à l’indépendance du Kurdistan iraqien, région autonome aux termes de la Constitution iraqienne de 2005, est susceptible de mettre en péril la viabilité d’un éventuel Etat kurde. Le Kurdistan iraqien tire ses principales recettes de l’exportation du pétrole, et celle-ci se fait via un pipeline arrivant au port turc de Ceyhan.
Deux murs de protection
Pour Ankara, l’enjeu est donc de taille. Plus radicales, les déclarations turques témoignent de l’opposition plus virulente de la Turquie, un pays où la question de la minorité kurde pose problème depuis plusieurs décennies. Malgré de bonnes relations entretenues avec le leader kurde iraqien Massoud Barzani, la Turquie, elle-même en proie sur son territoire à un conflit avec des séparatistes kurdes qui a fait plus de 40 000 morts depuis 1984, fait tout pour empêcher la création d’un Etat kurde à sa frontière.Elle a ainsi déclenché en août 2016 une opération militaire dans le nord de la Syrie pour en chasser les djihadistes du groupe Etat islamique (EI), mais également pour empêcher aux Kurdes syriens de faire la jonction entre les cantons qu’ils contrôlent dans cette région en proie à une guerre civile.
Allant encore plus loin, les autorités ont lancé, début août, un projet de construction d’un mur pour « sécuriser » la frontière avec l’Iran.Plus d’une centaine de kilomètres de béton devraient ainsi être installés à la frontière Est du pays. Ankara entend bloquer le passage d’activistes du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, organisation terroriste aux yeux du pouvoir turc. Ankara veut stopper le passage des militants kurdes et bloquer la contrebande, notamment d’essence, qui sert à financer le PKK. Les autorités turques comptent terminer la première phase du projet d’ici à deux mois : 30 % de la frontière devraient être « sécurisés ». On ne sait pas encore si toute la frontière turco-iranienne sera à terme bouclée par ce mur, mais le projet rappelle un autre mur construit par les autorités d’Ankara. Plus de 80 % de la frontière turco-syrienne sont aujourd’hui protégés par un mur. Officiellement pour empêcher le passage des djihadistes de Daech .
Réticences internationales
Lorsque l’administration régionale du Kurdistan iraqien a annoncé, il y a plus d’un mois, qu’elle allait effectuer le 25 septembre 2017, un référendum pour son indépendance, nul ne fut surpris. Pourtant, depuis cette annonce, la polémique ne cesse pas. Jusqu’à présent et malgré l’approche de la date prévue, le président de la région autonome du Kurdistan, Massoud Barzani, n’a pas réussi à recevoir le soutien interne et externe souhaité pour ce référendum. À l’intérieur de l’Iraq, hormis le Parti démocratique du Kurdistan, aucun des grands partis n’a fait de déclaration officielle sur un soutien au référendum. Quant aux Turkmènes et Arabes, qui représentent une forte population dans la région, ils ne sont pas favorables à la réalisation de ce référendum. Et, évidemment, le gouvernement central de Bagdad l’a dénoncé clairement dénoncé.
Sur le plan international, les principales puissances semblent réticentes. La semaine dernière, les Etats-Unis ont demandé aux Kurdes d’Iraq de reporter leur référendum. C’est ce qu’a indiqué la présidence de cette région autonome du nord de l’Iraq, ajoutant avoir réclamé des « garanties » et des « alternatives » en échange de ce report. En attendant, à Erbil, capitale du Kurdistan iraqien, les dirigeants affirment que le référendum aura bien lieu à la date prévue.
Quant à la Russie, sa position est moins tranchante. Pour l’ambassadeur russe en Iraq, « toute décision concernant l’unité de l’Iraq doit être le résultat d’un processus de négociations, en l’occurrence entre Bagdad et Erbil ». Il importe, selon lui, d’éviter toute démarche qui puisse affaiblir l’Iraq et restreindre ses possibilités de faire face à la menace terroriste. Moscou préconise l’intégrité territoriale de l’Iraq et appelle Bagdad et le gouvernement du Kurdistan iraqien à engager un dialogue étoffé pour examiner les questions en litige et s’entendre sur des principes et des formes acceptables de cohabitation, a déclaré l’ambassadeur de Russie en Iraq Maxime Maximov, à l’agence Sputnik le 14 août dernier.
Reste à savoir ce qu’adviendra après le référendum. Selon de nombreux observateurs, la victoire du « oui » ne signifierait pas forcément une déclaration d’indépendance immédiate du Kurdistan iraqien. Les Kurdes en sont certes conscients, et leur insistance à tenir ce référendum dans les circonstances actuelles n’est pas fortuite. En effet, la coalition internationale constituée contre Daech forme depuis deux ans les Peshmergas. Ce qui veut dire que par rapport à il y a deux ans, Erbil détient actuellement une force armée plus professionnelle, mieux organisée et mieux équipée en matière d’armes. Et une grande partie des zones disputées depuis 2005 entre Erbil et Bagdad est aujourd’hui sous le contrôle de l’administration régionale. Bref, la conjoncture en Iraq et au Moyen-Orient, notamment la guerre anti-Daech, a offert une grande opportunité à Massoud Barzani. Et il ne compte pas la laisser passer.
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