Le secrétaire d'Etat américain, Rex Tillerson, s'est entretenu avec ses homologues japonais et sud-coréen, pour discuter des moyens de faire pression sur Pyongyang
(Photo:AP)
Souffler le chaud et le froid. Telle est la nouvelle stratégie adoptée par l’Administration américaine du président Donald Trump vis-à-vis de Pyongyang après des semaines de menaces réciproques, notamment l’évocation par Washington d’une éventuelle frappe militaire à cause des provocations nucléaires nord-coréennes. Une stratégie dont les fruits restent peu sûrs, surtout après que Pyongyang a lancé un nouveau missile qui s’est soldé par un échec samedi 29 avril.
En effet, la politique d’apaisement adoptée par l’Administration américaine ces derniers jours était largement imprévue, comme toutes les volte-face adoptées par le président américain depuis son accession au pouvoir. Pour la première fois depuis son arrivée à la tête de la présidence le 20 janvier, Donald Trump a mis de l’eau dans son vin, semblant écarter, pour l’instant, le recours à la force et privilégier la diplomatie avec le régime stalinien. Surprise : le numéro un américain a affirmé sa disposition de dialoguer directement avec le régime nord-coréen, alors que les Etats-Unis privilégiaient toujours des discussions indirectes à travers la Chine — alliée de poids de la Corée du Nord — ou des discussions multilatérales incluant plusieurs parties, comme les discussions à Six (Corées, Japon, Etats-Unis, Chine et Russie) interrompues en 2009. « Les Etats-Unis n’excluent pas de dialogue direct avec le régime nord-coréen à propos de son programme nucléaire. Clairement, ce serait la manière dont nous aimerions résoudre la crise, mais le régime de Pyongyang doit être prêt à discuter de la dénucléarisation de la péninsule coréenne et pas seulement d’un gel de son programme nucléaire », a déclaré le secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, affirmant que son pays ne cherche ni « changement », ni « effondrement » du régime nord-coréen.
Maniant la carotte à Pyongyang, Washington a affirmé qu’il allait coopérer avec d’autres partenaires pour aider ce pays à l’économie ruinée sur la voie du développement économique, en cas de son renoncement au programme nucléaire. « Les Etats-Unis veulent ramener le dirigeant nord-coréen, Kim Jong-Un, à la raison, pas le mettre à genoux », a affirmé l’amiral américain Harry Harris, patron des forces américaines en Asie. Selon les experts, cette volte-face américaine a plusieurs motifs. « La Corée du Nord n’intéresse pas trop Donald Trump. Ce qui l’intéresse vraiment c’est d’augmenter sa popularité dans son pays. Sa frappe contre la Syrie et ses menaces de frappe militaire contre le régime stalinien ne visent qu’à augmenter sa popularité très basse dans son pays. Un pari bien gagné, puisque tous les sondages ont prouvé ces derniers jours une hausse de la popularité du président américain. Trump a adouci le ton avec Pyongyang car il ne veut pas ouvrir de nouveaux fronts de guerre : sa priorité reste Daech », explique Dr Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire.
Autre motif de ce revirement américain, des responsables du Pentagone ont souligné la semaine dernière que l’option militaire ne serait pas chose facile, car les coûts d’une frappe américaine sur la Corée du Nord seraient « exorbitants ». Pire encore, en cas de frappe américaine, la Corée du Sud serait exposée à de graves représailles nord-coréennes, de quoi embraser la péninsule et causer la mort de plusieurs centaines de milliers de civils. Autre raison, l’Administration américaine a réalisé que les menaces ne feraient que renforcer la détermination de Pyongyang à effectuer la voie du nucléaire. Déjà, toutes les sanctions votées depuis 2006 contre Pyongyang ont échoué à lui faire abandonner son programme d’armement nucléaire, car le régime, quoique financièrement étranglé, considère comme prioritaire pour sa survie le développement de son programme d’armement face à l’hégémonie américaine.
Pressions
Or, ce changement de stratégie ne signifie pas que l’Administration Trump va céder le pas face aux menaces nord-coréennes. Maniant le bâton, les Etats-Unis ont promis de renforcer les sanctions économiques contre la Corée du Nord, afin de la ramener sur « le chemin du dialogue ». De plus, Washington a affirmé qu’il réfléchissait à la réinscription de la Corée du Nord sur la liste noire des Etats « soutenant le terrorisme ». Du côté des pressions militaires, les forces américaines ont livré cette semaine les premiers éléments du bouclier antimissile américain THAAD en Corée du Sud, un projet destiné à contrer la menace nord-coréenne qui serait opérationnelle dans plusieurs jours, de quoi susciter l’ire de Pyongyang et de son allié chinois.
Signe d’urgence pour Washington, une réunion exceptionnelle du Conseil de sécurité consacrée à la Corée du Nord et présidée par le secrétaire d’Etat américain, Rex Tillerson, a été tenue vendredi dernier pour faire pression sur Pyongyang et son allié chinois. Lors de la réunion, M. Tillerson a lancé un appel à contrecarrer la « menace nucléaire » nord-coréenne aux « conséquences catastrophiques », exhortant la Chine à isoler économiquement et diplomatiquement son allié, tout en menaçant de recourir à la force pour faire plier le régime de Kim Jong-Un.
Sous forte pression, le chef de la diplomatie chinoise, Wang Yi, a rétorqué que son pays appliquait scrupuleusement toutes les sanctions de l’Onu, mettant en garde contre les risques de « chaos » et de « plus grandes catastrophes » en cas de recours à la force avec Pyongyang. « La Chine est entre le marteau et l’enclume. Ces pressions américaines la mettent dans une situation embarrassante. Pour Pékin, toutes les options semblent inquiétantes. Le déploiement d’un bouclier antimissile à ses frontières constitue une lourde menace à sa sécurité. Le scénario d’une Corée nucléaire voisine est affreux. Et l’effondrement de sa voisine ou une éventuelle réunification des deux Corées soutenues par Washington représentent aussi un scénario cauchemardesque », explique Dr Mourad.
Reste à savoir si la politique de la carotte et du bâton va pousser Pyongyang à renoncer à ses ambitions nucléaires. Pour l’heure, la réponse semble négative, car depuis l’achoppement des négociations à Six, l’Administration Barack Obama n’avait cessé, pendant huit ans, de manier le bâton des sanctions et la carotte des gains économiques pour une relance des discussions, mais le régime nord-coréen a multiplié ses tirs de missile, procédant à cinq essais nucléaires, de quoi lui valoir une batterie de sanctions internationales. Le dernier tir de missile, qui a eu lieu samedi dernier, n’est qu’une nouvelle preuve de la détermination de ce pays communiste à effectuer la voie nucléaire qui est pour lui une question « existentielle ».
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