Encore une fois, les doutes planent autour de l’accord sur le nucléaire conclu en juillet 2015 après plus d’une décennie de tractations entre Téhéran et les Six. La question s’impose avec force à l’approche de la présidentielle iranienne prévue le 19 mai prochain. Une présidentielle qui sera suivie de près par la communauté internationale, notamment la nouvelle Administration américaine, qui ne cache pas son inimitié envers Téhéran : le nouveau président américain, Donald Trump, ne cesse d’attiser les tensions avec la République islamique, menaçant de «
déchirer » l’accord nucléaire qu’il considère le
« pire accord » jamais conclu.
Cette semaine encore, la tension est montée d’un cran quand le numéro un américain a estimé que l’Iran ne respectait pas l’accord nucléaire. « C’est un accord terrible. Il n’aurait pas dû être signé. L’Iran n’est pas à la hauteur de l’esprit de cet accord », a indiqué M. Trump, bien que la Maison Blanche vienne de reconnaître que Téhéran respectait ses engagements aux termes de l’accord. Ce qui prouve qu’il s’agit d’un point de vue personnel du président américain. Pire encore, Donald Trump a demandé un nouvel examen de l’accord par le Congrès pour évaluer si la suspension des sanctions correspond aux intérêts de sécurité nationale des Etats-Unis. « L’accord nucléaire échoue à remplir l’objectif d’un Iran dénucléarisé car l’Iran demeure l’un des principaux pays qui parraine le terrorisme », a fustigé de son côté le secrétaire d’Etat américain, Rex Tillerson.
Exacerbé par ces menaces américaines, le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, a dénoncé les accusations « usées » des Etats-Unis, tournant en dérision les menaces de Trump. « C’est Washington qui bafoue l’entente. Les Etats-Unis ne peuvent cacher le fait que l’Iran se conformait aux termes de l’accord », a répliqué M. Zarif.
Mais bien que le ton monte entre les deux pays, une rupture de l’accord est difficilement envisageable, estiment les analystes. « En dépit de ce déluge de menaces américaines, Trump ne peut pas abroger l’accord car c’est un document international conclu entre Téhéran et les Six. Ce n’est pas un accord bilatéral. Ce que Trump pourrait faire, c’est de s’en retirer individuellement ou de maintenir une partie des sanctions américaines sur Téhéran afin de mettre des obstacles devant l’application du texte », explique ainsi Mohamad Abbas, expert au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.
Rohani, favori de la présidentielle
Or, outre les menaces américaines, un autre facteur est déterminant : qui sera le prochain président iranien ? « Si un conservateur gagne les élections, l’accord peut éventuellement être menacé car avec deux présidents conservateurs à la tête des deux pays, le risque est certain. Et ça, ça pourrait réduire en poudre plus d’une décennie de tractations difficiles entre Téhéran et les Six. L’enjeu actuel c’est l’approche des présidentielles iraniennes », estime Abbas.
La prochaine présidentielle iranienne revêt donc d’un caractère exceptionnel. Alors que la campagne électorale devrait initialement commencer le 28 avril, le Conseil des gardiens de la Constitution a donné vendredi, soit une semaine à l’avance, son coup d’envoi pour le début de la campagne après avoir retenu 6 candidats sur les 1 600 inscrits.
Pour l’heure, le plus important nom du camp réformateur semble le président Hassan Rohani — partisan d’une politique d’ouverture vis-à-vis de l’Occident — qui pourra briguer un second mandat. Sa victoire serait une bouée de sauvetage car, en tant que modéré, il pourrait dialoguer avec l’Administration Trump afin de sauver un accord vital pour son pays. « Rohani reste le favori du scrutin. Il est le candidat le mieux placé car il s’appuie sur l’alliance des réformateurs et modérés qui avaient permis son élection en 2013. Une alliance qui semble solide une fois comparée au camp conservateur dispersé. Déjà, les législatives de 2016 ont prouvé le farouche soutien de la population pour les modérés, pour l’accord nucléaire et pour la politique d’ouverture. Même si les difficultés économiques et les menaces de Trump ont provoqué de nombreux doutes sur la stratégie d’ouverture adoptée par le président iranien, les réformateurs ne voient guère d’alternatives à Rohani dont le bilan reste plus ou moins reluisant », affirme Dr Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire.
Outre la conclusion de l’accord nucléaire qui a permis à l’Iran de commencer à sortir des douze ans de crise économique, le gouvernement Rohani a pu procurer au peuple une certaine stabilité politique malgré le chaos qui sévit au Moyen-Orient. Sur le plan économique, la levée des sanctions a amélioré la situation du pays qui a commencé à récupérer graduellement les 32 milliards de dollars de ses avoirs bloqués dans les banques internationales.
Les questions économiques
au coeur de la campagne
« Même si le peuple n’a pas encore ressenti l’impact positif de l’accord sur sa vie quotidienne, il réalise bien que son président a besoin de temps pour poursuivre sa réforme économique. C’est sur la crise économique que mise le camp conservateur pour discréditer Rohani aux yeux du peuple », explique Dr Mourad, rajoutant que ce mécontentement populaire ne va jamais pousser les Iraniens à élire un conservateur car ces derniers réalisent qu’un pouvoir conservateur marquerait un retour à la fermeture et romprait avec tout espoir d’épanouissement économique et d’ouverture sur le monde.
Si l’on passe au camp conservateur, les deux candidats les plus importants sont Ebrahim Raissi, un proche du guide Ali Khamenei, et l’actuel maire de Téhéran, Bagher Ghalibaf. Selon les experts, Ebrahim Raissi semble le mieux placé du camp conservateur même il n’est pas en position de rivaliser avec Rohani. Figure montante au sein du pouvoir qui a servi pendant des années comme procureur à travers le pays. Raissi n’a aucune expérience politique. Jusqu’à présent, il n’a donné aucune indication sur ses vues en matière de politique étrangère, mais en tant que fidèle du guide suprême, il resterait suspicieux à l’égard de l’Occident, ce qui amenuiserait ses chances au scrutin. Sans aucune surprise, la candidature de l’ancien président ultraconservateur Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013) a été rejetée par le conseil contrôlé par les religieux conservateurs. En fait, M. Ahmadinejad avait créé la surprise et la confusion le 12 avril en se portant candidat à l’élection malgré l’opposition du guide suprême Ali Khamenei qui l’avait interdit pour éviter une « polarisation » de la vie politique. « Il est vrai que Khamenei préfère la victoire d’un président conservateur qui puisse faire face à l’Administration Trump mais il voit qu'Ahmadinajad ne devrait plus réoccuper ce poste, car sa politique ultraconservatrice et ses diatribes envers l’Occident ont coûté au pays un déluge de sanctions et une sévère crise économique », affirme Dr Mourad.
Reste à savoir si les menaces de Trump ne risquent pas de servir d’argument aux conservateurs pour s’emparer du pouvoir. Un risque réel surtout après qu’Ali Khamenei eut critiqué le bilan du gouvernement Rohani, de quoi constituer une menace pour ce dernier. « En fait, l’arrivée de Trump met Rohani dans une situation difficile, accusé par les conservateurs d’avoir été dupé par les Occidentaux. Les conservateurs veulent reprendre le pouvoir de peur que Rohani ne fasse des concessions face aux pressions de Trump. Mais je pense que le choix des électeurs sera motivé par la question économique et les espoirs encore à nourrir d’éventuelles retombées positives de l’ouverture envers l’Occident. Rohani reste le favori du scrutin, à moins d’une surprise », conclut Dr Mourad.
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