Al-Ahram Hebdo : Alors que la candidature de l’ancien président Musharraf aux législatives a été invalidée dans différentes circonscriptions, la commission électorale a entériné sa candidature dans la circonscription de Chitral, petite ville du nord. Quelles sont ses chances de l’emporter ?
Mohamad Fayez Farahat : Je pense que l’avenir électoral de Musharraf est très incertain. D’habitude, le gouvernement au Pakistan est un gouvernement de coalition. Nul parti ne peut avoir seul une majorité parlementaire. Ceci dit, le parti vainqueur aura besoin des autres formations pour composer le gouvernement. Ainsi, le parti de Musharraf ne pourra pas obtenir la majorité, car il n’est pas très populaire. Les gens gardent en tête son inculpation dans de grands procès comme celui de l’assassinat de Benazir Bhutto en 2007 et sa « trahison » de la Constitution, avec l’imposition de l’état d’urgence dès son arrivée au pouvoir en 1999 après un coup d’Etat.
Ainsi, il ne lui reste qu’une seule option : entrer dans une coalition avec le parti qui remportera les élections. Le jeu semble se jouer entre le Parti du Peuple Pakistanais (PPP) du président Asif Zardari et la Ligue musulmane de Nawaz Sharif. Cependant, tout rapprochement de Musharraf avec ces deux partis est illusoire, car tous deux sont en conflit ouvert avec le général. Pour le PPP, il ne peut pas s’allier avec un homme accusé d’avoir assassiné son ancien leader, à savoir Benazir Bhutto. Quant à la Ligue musulmane de Nawaz Sharif, toute alliance est impensable. En effet, en 1999, lorsque Musharraf a fait son coup d’Etat, Sharif était le chef du gouvernement qui a été renversé.
— Compte tenu de la situation, pourquoi Musharraf a-t-il décidé de rentrer au pays ?
— En effet, l’attitude de Musharraf est incompréhensible. Je ne comprends pas la logique de son retour : comment un président qui a dirigé le pays de 1999 jusqu’à 2008 — dans une période très critique de lutte contre le terrorisme et d’alliance avec Washington — aspire maintenant à un simple siège au Parlement ? C’est étrange. Est-ce un amour inconsidéré pour la participation politique ou une volonté de jouir de l’immunité parlementaire pour échapper à tous les procès qui le menacent ? Espère-t-il revenir au pouvoir par le biais d’une élection au Parlement ? Son comportement est controversé et risqué. De plus, il entretient de très mauvaises relations avec les juges suite à l’affaire du limogeage du juge Iftikhar Chaudhry, qu’il avait chassé du pays en 2007. Les juges ne lui seront pas favorables lors de ses futurs procès potentiels et il le sait.
— Quels risques court Musharraf puisqu’il est déjà rentré au Pakistan et n’a toujours pas été arrêté jusqu’à présent ?
— En fait, Musharraf est inculpé dans différents procès importants. Des avocats tentent depuis la semaine dernière de convaincre la plus haute juridiction du Pakistan de le condamner à la peine de mort. Mais l’ancien général n’est pas fou, il n’est rentré au pays qu’après la médiation de l’Arabie saoudite qui entretient de très bonnes relations avec le président Zardari. Riyad a obtenu la parole de Zardari de ne pas poursuivre Musharraf et de lui garantir une liberté sous caution. De plus, l’armée est la pièce maîtresse sur laquelle Musharraf s’appuie. En effet, celle-ci ne permettra jamais que l’un de ses symboles soit arrêté. N’oublions pas que Musharraf était le chef de l’armée durant une dizaine d’années. Si celle-ci avait dû le trahir, elle l’aurait fait en 2008, juste après son éviction du pouvoir.
— Qu’attendez-vous des résultats de ces élections législatives ?
— Les deux partis favoris sont le PPP et la Ligue musulmane de Nawaz Sharif. En 2008, c’est le PPP du président Zardari qui a obtenu le plus grand nombre de sièges. Cette fois, je pense que c’est le parti de Sharif qui l’emportera, car le bilan du PPP est très mauvais, surtout sur le plan économique. En cas de victoire, il se peut que Sharif choisisse de ne pas s’allier avec le PPP, vu les divergences chroniques entre les deux partis. Il pourrait opter pour une coalition avec de petites formations. Ainsi, le PPP passerait au rang de l’opposition.
— Pensez-vous que ces prochaines élections puissent instaurer la paix dans ce pays en ébullition ?
— Non, rien ne va changer. Les problèmes du Pakistan sont chroniques et insolubles, particulièrement la crise talibane et le multi-nationalisme qui divise le pays.
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