C’est une rencontre insolite mais lourde de significations, celle de la candidate de l’extrême droite à la prochaine élection présidentielle française, Marine Le Pen, avec le président russe, Vladimir Poutine. La première aspire à être le premier président issu de l’extrême droite en Europe, le deuxième se positionnant comme un puissant leader mondial, à même d’inspirer les populistes, qui ont de plus en plus le vent en poupe, notamment depuis le Brexit et l’élection de Donald Trump à la présidence américaine. « Je sais que vous représentez un spectre politique européen qui se développe assez rapidement », a ainsi déclaré M. Poutine, en recevant, vendredi 24 mars à Moscou, la chef du Front National (FN) français. Quant à elle, elle a affirmé, après cet entretien, voir en Vladimir Poutine « une nouvelle vision » d’un « monde multipolaire », également « le monde de Donald Trump », ajoutant qu’elle partageait avec eux une vision « de coopération et non pas une vision de soumission ou une vision belliciste telle que celle qui est exprimée bien souvent, trop souvent, par l’Union européenne ».
En rencontrant le chef de l’Etat russe à un mois du premier tour de la présidentielle prévu le 23 avril, la candidate du FN réussit son coup : rencontrer le président d’une grande puissance et parfaire sa stature sur la scène internationale.
Mais une Marine Le Pen présidente de la France républicaine, celle des droits de l’homme, des libertés et de la tolérance, celle qui croit dur comme fer en la construction européenne, est-ce possible ? Il y a quelques années encore, cela paraissait invraisemblable. Aujourd’hui pourtant, la candidate du FN est en tête des intentions de vote au premier tour, selon les sondages. Et s’il reste peu probable que Marine Le Pen accède à la présidence française, l’élection présidentielle puis les législatives françaises pourraient placer le FN à un niveau qu’il n’a jamais atteint dans ce pays. Et Le Pen semble en mesure de se qualifier pour le second tour avec un score nettement supérieur à celui obtenu par son père en 2002.
L’immigration pointée du doigt
A l’origine de cette considérable poussée de l’extrême droite, figure notamment la montée du populisme en Europe. D’après le journal français Le Figaro, (édition du 21 mars), une étude publiée par l’assureur-crédit Coface positionne la France en deuxième position — juste après le Royaume-Uni — des pays européens où la pression populiste est la plus forte. Dopés par le Brexit et la victoire de Trump, les populistes européens pensent qu’ils sont en position de force pour faire vaciller les démocraties. Pour ce, le populisme se fonde sur des dénominateurs communs : la défiance envers les partis politiques traditionnels et le souhait de voir émerger un « dirigeant fort », et les populistes tiennent tous le même discours, rejet de l’immigration et spectre du terrorisme islamiste.
Ainsi, l’immigration est particulièrement pointée du doigt par la candidate du Front national, qui en a fait une « priorité nationale ». « Je veux arrêter l’immigration, c’est clair et j’assume totalement mon propos. Je veux arrêter l’immigration légale et illégale », répète-t-elle sans cesse. Marine Le Pen a, comme à l’accoutumée, joué sur ce marqueur essentiel pour son électorat. En fait, ce n’est pas une surprise si le thème de l’immigration, devenu un classique, est en tête des sujets favoris de la campagne électorale en France. C’était le cas lors du débat télévisé sur la chaîne française TF1, tenu entre les 5 principaux candidats le 20 mars dernier, au cours duquel les discussions sur l’immigration ont donné lieu à de vives tensions, reflétant le malaise des autres candidats sur cette question. Proche de Le Pen, le candidat d’En marche, Emmanuel Macron, a dit vouloir renforcer les frontières de la France pour lutter contre l’immigration illégale. En désaccord, le candidat des Républicains, François Fillon, a proposé des quotas, alors que le socialiste Benoît Hamon s’est contenté de souligner que « la proportion d’étrangers en France est stable depuis les années 1930 », provoquant les ricanements de Marine Le Pen.
Or, qui dit immigration, dit forcément islam et laïcité, deux autres thèmes favoris de la campagne électorale française, au point que 77 % des Français ont jugé pourtant que l’on en parle trop, selon une enquête Ipsos, réalisée pour Radio France et France Télévision. Cependant, preuve que les candidats ont quelque part raison d’en parler, 90 % des Français jugent que la laïcité est « une valeur essentielle de la République », tandis que 74 % des personnes interrogées pensent que ce principe est aujourd’hui « menacé ». Et, justement, cette menace viendrait de l’islam, c’est ce que suggère, directement ou indirectement, la majorité des candidats. Mais c’est encore celle de l’extrême droite qui revient le plus à la charge : Le Pen a ainsi ouvertement dénoncé « la montée du fondamentalisme islamique ». La candidate du FN, accusée par les autres candidats de vouloir diviser la société française, souhaite faire inscrire dans la Constitution « que la République ne reconnaît aucune communauté » afin de lutter « contre le communautarisme ». Si François Fillon partage l’avis de Marine Le Pen sur la montée de l’intégrisme en France qui menace la laïcité, il refuse de stigmatiser les musulmans. Jean-Luc Mélenchon, candidat de La France insoumise, a, lui, indiqué qu’il ne faudrait pas que la laïcité serve « de prétexte pour s’en prendre à une religion, et pour être clair, pour s’en prendre aux musulmans ». Quant au candidat du PS, Benoît Hamon, il a rappelé que cette loi sur la laïcité protège aussi bien ceux qui veulent croire que ceux qui ne le veulent pas, et qu’elle défend aussi bien une femme « qui porte librement un foulard » que celle « qui, dans un quartier, s’habille comme elle veut », alors que Le Pen s’est dit encore une fois favorable à l’interdiction du voile dans tout l’espace public .
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