Un an après la conclusion de l’accord migratoire entre la Turquie et l’Europe le 18 mars 2016, la tension est à son comble entre les deux parties. Cela fait plus de deux semaines que la Turquie et l’Union Européenne (UE) traversent leur pire crise diplomatique à cause du refus de certains pays européens, surtout l’Allemagne et les Pays-Bas, d’autoriser des meetings en faveur du référendum du 16 avril portant sur le renforcement des pouvoirs du président turc, Recep Tayyip Erdogan.
Un bras de fer qui fait craindre une annulation pure et simple du pacte migratoire par Ankara qui en fait son « atout » pour exercer des pressions sur le Club européen et réaliser des gains politiques et économiques. Cet accord stipule le renvoi vers la Turquie de tous les migrants arrivant sur les côtes grecques en mer Egée, ce qui a permis de stopper l’afflux massif de migrants — majoritairement Syriens — vers l’Europe. Parlons en chiffres : alors que plus de 200 000 migrants avaient gagné les îles grecques entre décembre 2015 et fin février 2016, ils n’étaient que 3 500 sur la même période un an plus tard. « Cette réduction ne signifie pas que l’accord ait remporté ses fruits. La crise des migrants n’a pas été résolue, mais c’est plutôt la crise en Europe qui a été quelque peu résolue. D’ailleurs, ce pacte s’est transformé en un outil de chantage entre la Turquie et l’UE qui ne cherchent qu’à réaliser leurs intérêts aux dépens des plus vulnérables. Dès le départ, ni Erdogan ni l’UE ne pensait au sort des migrants. Côté européen, l’objectif était de freiner le flux migratoire qui menace le continent. Côté turc, l’objectif était de tirer des gains de l’Europe. Avec les jours, l’accord a été vidé de son sens », explique Mohamad Abdel-Qader, expert au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.
Priorité au référendum
Ainsi, foulant aux pieds le côté humanitaire, le président turc a poursuivi cette semaine son bras de fer avec l’UE, son objectif actuel étant uniquement de réussir son référendum. « Le oui au référendum sera la meilleure réponse aux ennemis de la Turquie », a-t-il dit, accusant dimanche dernier la chancelière allemande, Angela Merkel, de « nazisme ». Affirmant que le chef turc a dépassé toutes les limites en accusant Mme Merkel de « nazisme », le ministre allemand des Affaires étrangères, Sigmar Gabriel, a menacé samedi les dirigeants turcs de leur interdire de participer à des rassemblements en vue du référendum, alors que de nouveaux rassemblements politiques turcs pro-Erdogan ont été interdits en Allemagne et en Autriche.
Faisant sortir la carte migratoire comme d’habitude, le chef de la diplomatie turque, Mevlüt Cavusoglu, a agité la menace d’une annulation unilatérale du pacte, reprochant à Bruxelles de ne pas avoir donné son feu vert à la libéralisation des visas pour les citoyens turcs. « Que la Turquie l’annule ou pas, l’accord reste au point mort, car, outre la libéralisation des visas — demandée par Ankara et rejetée par l’UE —, Ankara avait demandé à l’Europe une aide financière de 6 milliards d’euros, mais jusqu’à présent, l’Europe n’a versé que 3 milliards. Il semble désormais que les Européens n’acceptent plus les chantages turcs, surtout qu’Erdogan ne veut faire aucune concession pour se conformer aux normes européennes », prévoit M. Abdel-Qader.
Outre cette question, d’autres sujets continuent d’opposer Ankara à l’UE, dont le rétablissement probable de la peine de mort, souhaité par Erdogan, une mesure qui sonnerait le glas des pourparlers d’adhésion d’Ankara à l’Union européenne. Haussant le ton à son tour, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a réaffirmé qu’un tel rétablissement empêcherait l’entrée du pays dans l’UE, en parlant de « ligne rouge ».
On est donc face à une impasse dans les relations turco-européennes. Selon M. Abdel-Qader, l’Europe peut se passer de la Turquie pour plusieurs motifs. Le premier est que la vague des réfugiés syriens, qui quittent leurs territoires en quête de l’Europe, a beaucoup diminué en comparaison aux dernières années. Le second est que la Turquie a déjà fermé ses frontières avec la Syrie. C’est pourquoi le nombre des migrants se réfugiant en Turquie a beaucoup diminué, de quoi réduire le rôle de la Turquie aux yeux de l’Europe. « Désormais, la vague de migration qui menace l’Europe ne serait plus celle des Syriens, mais plutôt les Libyens qui veulent rejoindre l’Europe via la Tunisie, l’Algérie ou l’Egypte », affirme notre expert. Avec la fermeture de la « route des Balkans », la Libye est redevenue le point de départ numéro un pour ceux qui désirent rejoindre l’Europe. Ce qui justifie la visite d’Angela Merkel début mars en Tunisie et en Egypte visant à stabiliser la Libye et endiguer l’afflux de migrants libyens par la Méditerranée. Une façon de signifier à Ankara que l’UE n’a plus autant besoin d’elle .
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