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Incertitudes persistantes en Afghanistan

Maha Al-Cherbini avec agences, Jeudi, 02 mars 2017

Alors que le président américain, Donald Trump, tarde à annoncer ses intentions pour l’Afghanistan, l'intensification des attaques talibanes et la montée en puissance de Daech ont donné naissance à des alliances inattendues.

Incertitudes persistantes en Afghanistan
Les forces afghanes — faibles et sous-équipées — ne peuvent pas faire face à la montée en puissance de Daech et des talibans. (Photo : AFP)

Malgré les tentatives d’instauration de la paix depuis la chute du régime taliban en 2001, aucun changement majeur ne s’observe dans le quotidien des citoyens afghans. Le retour à la stabilité et la fin de l’intervention militaire américaine en Afghanistan étaient prévus pour 2014, mais face à l’intensification des attaques talibanes, le président Barack Obama à dû ajuster son calendrier maintenant 8 400 soldats jusqu’au début de 2017 au lieu de 5 500 initialement prévus.

D’ores et déjà, l’une des décisions majeures que devra prendre le président américain, Donald Trump, concerne l’avenir de ces troupes américaines en Afghanistan. Mais jusqu’à présent, le président s’est peu exprimé sur ce dossier : « L’Afghanistan n’est pas l’une des priorités de Trump hanté par la lutte contre Daech. Bien qu’il ait affirmé que son pays continuerait à soutenir militairement le bourbier afghan, il peine encore à dessiner sa future stratégie pour ce pays. Je pense que Trump sera obligé de maintenir et de renforcer la présence américaine en Afghanistan. La plupart de ses conseillers appartiennent à la ligne dure, partisane d’une présence militaire forte dans ce pays, craignant qu’il ne devienne un repaire du terrorisme dans le monde », explique Dr Nourhane Al-Cheikh, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire. Selon elle, « déjà, son nouveau secrétaire à la défense, James Mattis, a manifesté son inquiétude en cas de retrait total des troupes américaines. Il estime que cela pourrait ramener les talibans au pouvoir, surtout que les forces afghanes — faibles et sous-équipées — avaient perdu du terrain face aux rebelles en 2016, malgré des dizaines de milliards de dollars dépensées par Washington pour la formation des forces afghanes ».

La réalité sur le sol afghan reste plutôt inquiétante et un éventuel retrait des troupes américaines risquerait de plonger le pays dans le chaos. L’année dernière, 6 785 soldats et policiers afghans ont été tués, soit une hausse de plus d’un tiers par rapport à 2015.

Autre motif d’inquiétude : un récent rapport de l’Onu affirme que 2016 était l’année la plus meurtrière pour la population civile en Afghanistan avec 11 500 victimes, dont plus de 3 500 enfants, tués ou blessés. Le dernier drame en date remonte à la semaine dernière, avec l’explosion d’une bombe qui a fait 12 morts, dont 8 enfants.

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Seulement les talibans ne sont pas l’unique menace qui déstabilise l’Afghanistan. L’enracinement de Daech dans le pays depuis 2015 inquiète beaucoup plus que les rebelles afghans. Alors que ces derniers sont considérés comme responsables de la majorité des victimes civiles, l’Etat Islamique (EI) est de plus en plus actif et plus meurtrier en Afghanistan. Selon l’Onu, le nombre de victimes civiles attribuées à l’EI a déjà atteint 899 victimes, dont 250 morts depuis 2015. Leur dernier attentat, qui remonte au 9 février, a entraîné la mort de six personnels du Comité International de la Croix-Rouge (CICR), alors que la veille 20 personnes ont été tuées dans une explosion près de la Cour suprême à Kaboul. De quoi prouver la capacité de ces djihadistes à frapper jusqu’aux endroits les plus sûrs de la capitale. Selon les experts, les djihadistes de l’EI tentent de supplanter des talibans, divisés après la mort de leur chef, le mollah Omar. Pour les jeunes Afghans, le mouvement taliban a perdu beaucoup de son éclat face à l’émergence d’un Etat islamique plus fort, avec pour objectif l’instauration d’un grand califat. Selon Najibullah Mani, chef de la section antiterroriste du ministère afghan de l’Intérieur, l’EI est désormais actif dans 11 provinces du pays. « Cette montée en puissance de l’EI, bête noire de Trump, va probablement le pousser à renforcer la présence de ses troupes dans le pays pas pour lutter contre les talibans mais plutôt pour casser Daech », prévoit Dr Nourhane Al-Cheikh.

Cette montée en puissance de Daech donne naissance à des alliances inattendues. Jadis adversaire farouche des talibans en raison de leur soutien aux rebelles tchétchènes, la Russie commence à se rapprocher des rebelles afghans considérés comme un « moindre mal » ou encore un « unique rempart » face à Daech. Moscou craint l’influence de l’EI sur la communauté musulmane qui vit en Russie ou encore dans les anciens pays satellites de l’ex-Union soviétique, comme le Tadjikistan ou le Kirghizstan.

Dans une tentative de renforcer l’épine des talibans pour obtenir leur soutien face à Daech, la Russie a tenté de favoriser la réconciliation entre Kaboul et les insurgés, en organisant une réunion sur l’avenir de l’Afghanistan mi-février. Lors de cette réunion, les six pays présents, dont la Chine, l’Iran, l’Inde et le Pakistan, ont convenu d’intensifier leurs efforts pour améliorer les rapports entre Kaboul et les rebelles et les aider face à l’EI. D’où les déclarations récentes du chef de l’exécutif afghan, Abdullah Abdullah, concernant une possible réconciliation avec les rebelles dans les jours à venir.

Outre le soutien russe, l’apparition de Daech a offert aux talibans le soutien de leur ancien ennemi, l’Iran. Depuis des mois, les forces de sécurité afghanes se plaignent du régime iranien qui offre aux insurgés des drones et des matières explosives qu’ils utilisent ensuite dans des opérations suicides. Ce soutien iranien aux rebelles peut paraître « illogique », car l’Iran (chiite) a toujours entretenu des relations troubles avec le régime taliban (sunnite) au pouvoir de 1996 à 2001. De quoi se questionner sur les réels motifs de cette alliance paradoxale. « Les calculs politiques obligent les ennemis à s’allier. L’apparition d’un ennemi commun, Daech, pousse certains à s’unir, comme c’est le cas avec la Russie ou encore ce rapprochement irano-taliban. Pour Téhéran, Daech constitue une menace beaucoup plus forte que les talibans. Son apparition en Afghanistan inquiète le régime chiite qui a dû s’allier avec les talibans — force de poids sur le sol afghan — afin de l’aider à bloquer toute infiltration de l’EI en Iran. Je pense que l’intervention de Daech en Afghanistan et le soutien irano-russe aux talibans vont pousser Trump à renforcer la présence américaine en Afghanistan », prévoit Dr Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire.

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