
Des manifestations ont éclaté à Kiev, réclamant la fin de l'offensive russe en Syrie et en Ukraine.
(Photo:AP)
Si la reprise d’Alep par Damas, largement due au soutien russe, peut avoir des répercussions loin de la région, c’est bien sur le dossier ukrainien. En effet, l’un des objectifs de l’intervention russe en Syrie est de faire pression sur l’Occident pour qu’il lui laisse les mains libres en Ukraine et surtout en Crimée annexée par Moscou en 2014. Depuis plus de deux ans et demi, l’Ukraine est en proie à un conflit opposant ses forces à des rebelles pro-russes qui sont, selon Kiev et les Occidentaux, soutenus par la Russie, ce que Moscou dément. Depuis, les relations entre Moscou et l’Occident se sont nettement dégradées, faisant peser un air de guerre froide sur les relations bilatérales.
De peur que Moscou ne tente d’imposer ses conditions en Ukraine au cours des jours à venir, une réunion a eu lieu lundi entre le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, et la Russie à Bruxelles afin de discuter de la sécurité européenne, particulièrement l’Ukraine. Il s’agit de la première réunion Otan-Russie depuis l’élection début novembre du président américain, Donald Trump, qui inquiète certains pays européens redoutant un comportement plus indulgent de Washington à l’égard de la Russie.
Selon Dr Hicham Ahmed, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, la victoire de la Russie en Syrie a changé le rapport des forces entre Moscou et l’Occident. « C’est un pari gagné pour Moscou. En changeant l’équilibre des forces en Syrie, Poutine semble gagner son bras de fer avec l’Occident et va probablement réussir à imposer ses conditions en Ukraine. Le message de Poutine à l’Occident était clair dès le début : Laissez-moi l’Ukraine et je vous laisse la Syrie », affirme Dr Hicham Ahmed.
Rapprochement Ukraine-UE
Mais l’Occident ne compte pas fléchir si facilement et a accentué sa pression sur Moscou. Lors de leur réunion à Bruxelles, les dirigeants des 28 pays de l’UE ont approuvé vendredi la reconduction pour six mois de leurs sanctions contre Moscou pour son rôle en Ukraine. Ces mesures visent les secteurs pétroliers, de la défense ou encore des banques. Qui plus est, dans une tentative d’accentuer la pression sur Moscou, les Européens ont fait un pas sur la voie de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union Européenne (UE), les Pays-Bas annonçant être parvenus à un accord avec leurs 27 partenaires de l’UE sur un texte ouvrant la voie à un possible vote du traité UE-Ukraine par le parlement à La Haye, alors qu’il avait été rejeté en avril au cours d’un référendum consultatif. Pourtant, ce vote amputerait l’accord des garanties d’assistance à l’Ukraine en matière sécuritaire ou financière, ce qui viderait l’accord de sa substance. « Les Pays-Bas sont le seul Etat européen qui s’oppose à l’adhésion de cette ex-République soviétique à l’UE car elle ne remplit pas les critères européens. Pourtant, le reste du bloc européen accepte cette adhésion car l’Ukraine a une importance stratégique en tant que deuxième force militaire en Europe. Déployer des bases de l’Otan dans cette ex-République soviétique serait très important pour l’Europe car cela signifie que l’Alliance arriverait jusqu’aux frontières de la Russie, ce que Poutine n’accepterait jamais. Pour Moscou, l’Ukraine est une question de vie ou de mort », explique Dr Mohamed Kachkouch, conseiller au Centre régional des études politiques et stratégiques.
Position américaine délicate
Côté américain, les pressions étaient concentrées sur l’affaire des cyber-attaques russes qui ont perturbé la présidentielle américaine. Furieux, le président Barack Obama, dont les relations se sont envenimées avec son homologue russe Vladimir Poutine, a promis des représailles à Moscou sans en préciser leur nature. « Si un gouvernement étranger tente d’entacher l’intégrité de nos élections, alors nous devons agir », a prévenu M. Obama, exhortant son successeur à accepter une enquête « bipartite, indépendante » sur ces piratages. En effet, un éventuel recours à des sanctions américaines contre le régime russe placerait Trump dans une position difficile une fois au pouvoir : les supprimer d’un trait de plume nourrirait les accusations d’une trop grande proximité avec Moscou, une posture qui crée des remous au sein du Parti républicain. Exacerbé par ces accusations américaines, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, s’est insurgé samedi. « Il faut soit cesser d’en parler, soit apporter des preuves », a-t-il fustigé.
Or, tout cela peut changer. Selon Dr Kachkouch, les jours à venir pourraient témoigner d’un rapprochement entre Moscou et la future administration américaine. Tout au long de sa campagne électorale, Donald Trump avait émis des positions « favorables » à Poutine et aux frappes russes en Syrie. « La chute d’Alep va offrir au nouveau président américain la possibilité d’un nouveau dialogue avec la Russie. Je pense que Trump va laisser à Poutine les mains libres en Ukraine puisque ce dernier l’aide à en finir avec l’Etat islamique en Syrie. En effet, l’Ukraine n’est pas une priorité pour Trump, ce qui compte pour lui c’est que Moscou continue à frapper l’EI à Raqqa, capitale des djihadistes en Syrie », affirme Dr Kachkouch. Preuve de la crédibilité de ces pronostics : M. Trump a affirmé cette semaine qu’il compte réchauffer les relations Washington-Moscou pour lutter contre les djihadistes. Prouvant sa bonne volonté envers la Russie, le nouveau leader américain a mis en doute les conclusions de la Maison Blanche de Barack Obama, selon lesquelles la Russie est à l’origine des piratages informatiques ayant eu lieu pendant la campagne électorale américaine.
Outre ce soutien américain prévu les jours à venir, la Russie s’est procuré le soutien d’un nouvel allié : la Turquie. Un soutien « paradoxal » car les deux pays soutiennent des camps opposés en Syrie. En dépit de cette divergence, Poutine et son homologue turc Erdogan ont formé un duo qui a froissé l’Occident. « Les intérêts économiques ont fait taire les divergences politiques. Ankara a changé sa position en Syrie car il a de grands intérêts économiques et énergétiques avec la Russie. 40 % des revenus du tourisme en Turquie sont procurés par les touristes russes », explique Dr Kachkouch, rajoutant qu’Ankara a décidé de se tourner vers l’axe russe car elle s’est sentie « vendue » par l’Europe qui refuse son adhésion à l’UE. Si on rajoute à ces alliés russes — l’Iran — allié traditionnel de Moscou, on va déduire que le chef du Kremlin pourrait bien gagner son bras de fer avec l’Europe, de quoi lui permettre d’imposer ses conditions en Ukraine qui constitue, pour lui, une question existentielle .
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