A quelques semaines de la prise de pouvoir du président américain élu, Donald Trump, et alors que le dossier afghan n’a presque pas été évoqué par Trump, le secrétaire américain à la Défense, Ashton Carter, s’est rendu vendredi en Afghanistan lors d’une visite surprise où il a rencontré le président afghan, Ashraf Ghani. L’occasion de lui réaffirmer l’engagement américain dans ce pays avant la passation de pouvoir à son successeur, James Mattis, considéré comme un partisan de la ligne dure. «
L’Amérique est et restera engagée pour un Afghanistan souverain et sûr », a affirmé M. Carter.
Pour l’heure, l’une des décisions majeures que devra prendre M. Trump serait l’ampleur du déploiement américain en Afghanistan à partir de 2017. Alors que l’intervention militaire en Afghanistan devait s’achever fin 2014, la recrudescence des attaques talibanes a contraint le président Barack Obama à ajuster son calendrier de retrait et à en maintenir 8 400 soldats jusqu’au début de 2017 au lieu de 5 500 initialement prévus. « Je pense que Trump va maintenir la présence américaine en Afghanistan. Il va peut-être la renforcer aussi, car la plupart de ses conseillers appartiennent à la ligne dure partisane d’une présence militaire accrue dans ce pays qui pourrait devenir un repaire du terrorisme dans le monde », prévoit Dr Hicham Ahmed, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. En effet, Donald Trump a affirmé cette semaine — dans sa première déclaration concernant l’Afghanistan — que les Etats-Unis « resteraient à côté » de ce pays et pourraient aussi renforcer leur « soutien en termes de sécurité ». Déjà, le secrétaire à la Défense nommé, James Mattis, a manifesté son inquiétude quant à un retrait total des troupes américaines qui pourrait ramener les talibans au pouvoir, surtout que les forces afghanes — faibles et sous-équipées — avaient perdu du terrain face aux rebelles en 2016.
Rapprochements de circonstance
Alors que les Etats-Unis peinent à tracer leur politique future en Afghanistan, de récentes évolutions concernant le soutien de plusieurs pays aux talibans inquiètent. Outre le Pakistan voisin, accusé de soutenir les talibans afin de maintenir une influence accrue en Afghanistan, des informations ont récemment circulé quant à un soutien iranien aux rebelles afghans. Les forces de sécurité afghanes se sont officiellement plaintes du régime iranien, qui offre aux insurgés des drones, des missiles et des matières explosives qui leur servent dans leurs opérations suicides. En effet, ce soutien iranien aux rebelles semble « paradoxal », car l’Iran — chiite — avait toujours des relations envenimées avec le régime taliban — sunnite — au pouvoir en Afghanistan de 1996 à 2001. Une hostilité qui a atteint son apogée après l’assassinat de dix diplomates iraniens par les talibans en 1998. De quoi susciter des interrogations sur les motifs de cette alliance entre les deux ennemis d’hier. « Les calculs politiques obligent parfois les ennemis à s’allier. L’apparition d’un ennemi commun — Daech — a motivé ce rapprochement irano-taliban. Pour Téhéran, Daech constitue une menace beaucoup plus grave que les talibans. Son apparition en Afghanistan inquiète le régime chiite qui n’a qu’une option : s’allier avec les talibans — force de poids sur le sol afghan — afin de l’aider à empêcher toute infiltration de l’Etat Islamique (EI) en Iran. Le régime iranien aspire à établir une zone tampon à ses frontières avec l’Afghanistan — dans la région du Helmand et de Kunduz — contrôlée par les talibans car il craint que l’EI ne s’infiltre dans son pays pour se venger de lui. N’oublions pas que Téhéran combat Daech en Syrie et en Iraq », explique Dr Hicham Ahmed. Autre motif de ce soutien iranien : contrer l’existence occidentale et surtout américaine à ses frontières. « En soutenant les rebelles, Téhéran soutient les ennemis des Etats-Unis et impose du même coup son hégémonie en Afghanistan pour contrecarrer les plans américains. Il s’agit d’une carte de pression sur Washington », poursuit l’expert.
Au sud de l’Iran, l’apparition de Daech en Afghanistan a procuré aux insurgés le soutien d’un autre allié de poids : la Russie. Cette semaine, l’Afghanistan et les Etats-Unis se sont inquiétés des signes de rapprochement entre la Russie et les rebelles. Plusieurs rencontres ont eu lieu récemment entre le mollah Abdul-Salam, gouverneur officieux de la province de Kunduz, et des émissaires russes au Tadjikistan. Déjà, des vols d’hélicoptères suspects et la saisie d’armes de fabrication russe font craindre une implication de plus en plus importante de Moscou dans le conflit afghan, ce qui pourrait changer la donne en faveur des talibans. Vendredi, le général John Nicholson, commandant des forces américaines en Afghanistan, a regretté que la Russie vienne s’ajouter à l’Iran et au Pakistan parmi les pays ayant une « influence néfaste » en Afghanistan. « Notre rapprochement avec les talibans vise à lutter contre l’EI et empêcher son infiltration en Russie et en Asie centrale. Les intérêts russes coïncident avec ceux des talibans dans la lutte contre Daech », a justifié Zamir Kabulov, haut responsable au ministère russe des Affaires étrangères. En fait, Moscou craint l’influence de l’EI sur la grande communauté musulmane qui vit en Russie ou dans les anciens pays satellites de l’Union soviétique, tels le Tadjikistan ou le Kirghizstan. « A vrai dire, la Russie et l’Iran détestent les talibans et les taxent de terroristes, mais ils étaient obligés de s’allier avec eux. Les deux pays ont choisi le bon moment d’intervenir en Afghanistan, car il s’agit d’une période de transition aux Etats-Unis, une période de paralysie où l’administration actuelle ne pourrait prendre aucune décision majeure. C’est donc le moment opportun pour ce duo irano-russe de réaliser des gains en Afghanistan. Je pense que Trump va fortifier la présence américaine dans ce pays pour y contrer l’influence iranienne et russe », conclut Dr Hicham Ahmed.
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