Kerry et Zarif ont mis en garde contre toute remise en cause de l'accord nucléaire.
(Photo:AP)
Le président américain élu, Donald Trump, ne s’est pas exprimé sur la question iranienne depuis son élection, mais l’inquiétude règne déjà. Certaines mesures prises récemment n’augurent rien de bon pour l’accord sur le nucléaire censé empêcher l’Iran de se doter de la bombe atomique. M. Trump a nommé cette semaine comme nouveau chef de la CIA un « faucon » très dur et anti-Iran, Mike Pompeo, qui s’est toujours opposé à l’accord iranien. Juste après sa nomination, M. Pompeo a affirmé qu’il « comptait revenir sur cet accord désastreux avec le plus grand parrain du terrorisme ». Inquiet, le chef de la diplomatie sortant, John Kerry, a exhorté le nouveau président à préserver l’héritage en politique étrangère de Barack Obama, surtout en matière de non-prolifération nucléaire.
Autre mesure inquiétante : le Sénat américain a voté cette semaine, à une écrasante majorité, pour une prolongation de 10 ans des sanctions contre l’Iran, une mesure qui doit être signée par Barack Obama au cours des jours à venir. Ce dernier texte prévoit des pénalités contre le secteur bancaire, ainsi que contre les industries de l’énergie et de la défense. En fait, les sanctions américaines imposées à l’Iran depuis 1996 sont soumises à renouvellement tous les dix ans. Alors qu’elles devaient s’achever fin 2016, le Sénat a confirmé leur prolongation à 99 voix pour, zéro contre.
Même si les Etats-Unis ont suspendu les sanctions contre Téhéran liées au nucléaire, ils lui imposent d’autres liées au non-respect des droits de l’homme par Téhéran, à son soutien au terrorisme au Moyen-Orient et à son programme de missiles balistiques. Pour justifier leur vote, les sénateurs ont affirmé qu’une loi sur les sanctions devait rester en vigueur pour permettre de les réinstaller immédiatement si l’Iran viole l’accord.
Selon la Maison Blanche, le président Barack Obama va tenter de stopper cette mesure en y opposant son veto, car il veut sauver un accord historique qui constitue son unique succès en 8 ans de règne après ses échecs cuisants en Iraq et en Afghanistan. M. Obama a affirmé qu’il compte, avant l’expiration de son mandat, prendre des mesures pour renforcer l’accord, dont l’attribution aux compagnies américaines de licences pour sortir sur le marché iranien et la levée d’une autre partie des sanctions. De plus, Obama va essayer de convaincre l’équipe de son successeur du danger que va représenter toute remise en cause d’un accord qui empêche l’Iran de se doter d’une bombe nucléaire. Déjà, des voix américaines mettent en garde contre le danger d’une telle remise en cause. « Ce serait catastrophique, une grande folie. D’abord, le fait qu’une administration déchire un accord fait par une précédente administration serait quasiment sans précédent. Et ensuite, cela pourrait conduire à un programme d’armement en Iran, qui pourrait pousser d’autres Etats de la région à se lancer dans leurs propres programmes », a estimé le chef de la CIA et le conseiller de M. Obama pour la sécurité et la lutte antiterroriste, John Brennan, mettant en garde contre le risque d’un « conflit militaire ».
Selon Mohamad Abbas, rédacteur en chef de la revue Mokhtarat Iraniya (sélections iraniennes), publiée par Al-Ahram, ce vote veut faire d’une pierre deux coups : « Maintenir la pression sur le régime iranien afin de s’assurer qu’il s’engage pleinement à respecter l’accord et satisfaire à Israël — grand ennemi de Téhéran — et aux Républicains, farouches opposants à ce traité ». Abbas explique que « c’est une carte de pression. Les sénateurs américains veulent garder la carte des sanctions contre l’Iran si ce dernier viole ses obligations. Cependant, ni Trump, ni les Républicains ne peuvent démanteler l’accord, car il a été ratifié par le Congrès : aucun président ne pourrait donc l’annuler. Et puis, une telle remise en cause signifierait une grave crise non seulement avec l’Iran, mais aussi avec les grandes puissances — engagées dans ce compromis — de quoi isoler internationalement les Etats-Unis. Par ailleurs, si Trump remet en cause l’accord, l’Iran va hausser le taux de l’enrichissement de l’uranium, car il a simplement gelé son programme nucléaire et ne l’a pas détruit. Ceci signifie un retour à la case départ », analyse l’expert.
Téhéran menace de réagir
Exacerbé, Téhéran a appelé Barack Obama à mettre son veto à la prolongation des sanctions, affirmant qu’il répondrait à la décision du Congrès américain. « Le récent projet de loi voté par la Chambre des représentants et le Sénat va à l’encontre du JCPOA (acronyme en anglais de l’accord). L’Iran a prouvé qu’il respecte ses engagements internationaux, mais il a aussi des réponses adéquates pour toutes les situations », s’est insurgé le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Bahram Ghasemi. De son côté, le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif, artisan de l’accord côté iranien, a déclaré samedi : « Cela montre à la communauté internationale que les Etats-Unis ne sont pas fiables. L’Amérique va à l’encontre de ses engagements ».
La semaine dernière, le guide suprême iranien, Ali Khamenei, avait prévenu que l’Iran « réagirait certainement » à une prolongation des sanctions américaines, estimant que ce serait « une violation » de l’accord nucléaire. « L’accord nucléaire ne doit pas devenir un outil pour mettre la pression sur le peuple iranien », a mis en garde le guide suprême, promettant des représailles à Washington. Face à cette vague de colère, la réaction de l’Iran ne se fait pas attendre : selon Nehrouz Nemati, porte-parole de la présidence du parlement iranien, une proposition de loi pourrait être déposée pour demander le retour « aux conditions initiales » d’enrichissement d’uranium (c’est-à-dire antérieures à l’accord).
Il semble donc que les jours à venir vont témoigner d’un jeu de pressions réciproques entre Washington et Téhéran, car chaque pays veut faire le moins de concessions possible. « En fin de compte, je pense que l’accord survivra, mais difficilement. Même si Trump ne va pas déchirer l’accord, il pourrait y mettre des obstacles pour le ralentir. Ce serait un jeu de pressions », prévoit Abbas .
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