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Un parfum de Guerre froide

Maha Al-Cherbini avec agences, Lundi, 17 octobre 2016

Avec des divergences fondamentales sur plusieurs dossiers-clés, la Russie et l'Occident sont entrés dans un bras de fer qui n'est pas sans rappeler les crises de la Guerre froide.

Un parfum de Guerre froide
Un compromis entre Washington et Moscou n'est pas attendu avant la présidentielle américaine.(Photo:Reuters )

Déclenchée en 2014 à cause des divergences sur l’Ukraine, la crise entre l’Occident et la Russie ne cesse de prendre de l’ampleur. En plus de l’Ukraine, d’autres facteurs continuent d’en­venimer les relations entre Moscou d’une part et Washington et les capitales occidentales d’autre part, avec en premier lieu le dossier syrien. Certes, les posi­tions sont antagonistes depuis le début de la crise syrienne, mais l’antagonisme a pris ces dernières semaines des proportions nou­velles, avec carrément des accu­sations franco-américaines de « crimes de guerre » commis par Moscou. Dans la foulée de ces accusations, le président russe, Vladimir Poutine, a annulé sa visite prévue le 19 octobre dans la capitale française, accusant la France d’avoir cherché à « enve­nimer la situation » en forçant la Russie, la semaine dernière, à mettre son veto au projet de réso­lution à l’Onu sur l’arrêt des bom­bardements en Syrie. Pourtant, de part et d’autre, on tente l’apaise­ment : le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, s’est dit peu favorable à des sanctions contre la Russie, réaffirmant la volonté de la France de poursuivre son dialo­gue avec ce pays. Côté russe, le président russe, Vladimir Poutine, a affirmé être disposé à « visiter Paris lorsque le président Hollande se sentira à l’aise pour le voir », a assuré le Kremlin.

S’il est prématuré de parler de crimes de guerre en Syrie — aucune enquête n’est encore engagée —, il est tout de même sûr que Moscou tente un coup de force en Syrie : « Poutine tente de tirer profit de la paralysie qui frappe les Etats-Unis à l’ap­proche des élections et de réaliser de grandes avancées en Syrie. Car une victoire des forces du président Bachar Al-Assad à Alep signifierait une victoire écrasante pour Poutine et un coup dur pour l’Occident. Si Poutine vainc l’Oc­cident en Syrie, cela lui permettra de négocier en position de force non seulement sur la Syrie, mais aussi sur les points de contentieux avec les Européens, comme l’Ukraine », explique Dr Hicham Ahmed, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire.

Syrie, Ukraine, deux dossiers indissociables
En effet, c’est la question ukrai­nienne qui a relancé les tensions Occident-Russie et qui a rétabli le climat de guerre froide. L’intervention russe en Ukraine et l’annexion de la Crimée en avril 2014 ont attisé le bras de fer entre l’Occident et la Russie. Et c’est dans un contexte de forte tension entre les deux côtés que s’est tenu le sommet de l’Otan les 8 et 9 juillet à Varsovie où l’Otan a musclé sa présence militaire à l’Est face à la Russie. Selon Dr Hicham Ahmed, le dossier syrien est indissociable du dossier ukrai­nien. Ce sont deux faces d’une même médaille, dit-il : Moscou n’est pas intervenu en Syrie pour soutenir seulement le régime syrien, mais plutôt pour casser l’isolement international où il est confiné depuis l’annexion de la Crimée et, plus important, pour faire pression sur l’Occident en ce qui concerne l’Ukraine. « Il s’agit d’une sorte de chantage. Poutine veut dire à l’Occident : Laissez-moi l’Ukraine et je vous laisse la Syrie. C’est pourquoi il se déploie à sortir vainqueur de la Syrie », explique Dr Hicham Ahmed. Preuve que les deux dossiers ukrainien et syrien sont indisso­ciables : le président français, François Hollande, a fait sortir cette semaine la carte de l’Ukraine à son homologue russe, disant souhaiter l’élaboration d’une feuille de route engageant l’en­semble des parties et visant au rétablissement du contrôle par l’Ukraine de sa frontière avec la Russie en faveur d’un règlement pacifique de la crise à l’Est de l’Ukraine. M. Hollande a souli­gné qu’il était prêt à participer à une nouvelle rencontre — France, Allemagne, Russie, Ukraine — qui devrait donner une impulsion décisive en vue de la résolution de la crise. Une façon de manier la carotte à Moscou pour la rame­ner à la table des négociations.

Accusations tous azimuts
Exacerbés par les avancées russes en Syrie et en Ukraine, les Etats-Unis ont tenté de faire pres­sion sur la Russie, l’accusant d’ingérence dans la présidentielle américaine, en orchestrant les récents piratages d’e-mails de personnes et d’institutions améri­caines. Le mois dernier, la candi­date démocrate Hillary Clinton a dénoncé les agissements du Kremlin, l’accusant de « graves » interférences pour faire élire son adversaire Donald Trump. Rejetant ces accusations infon­dées, le Kremlin a dénoncé same­di le niveau d’agressivité sans précédent des Etats-Unis, dénon­çant une « hystérie » américaine destinée à « manipuler l’opinion publique ». Selon Dr Hicham Ahmed, ces accusations améri­caines sont « ridicules ». « C’est un faux prétexte infondé qui vise à isoler de plus en plus Moscou sur la scène internationale, car nul ne pourrait influencer le résultat des élections dans une grande démocratie comme les Etats-Unis », ironise l’expert.

Aussi, selon Dr Norhane Al-Cheikh, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, « outre la divergence de leurs intérêts sur la plupart des dos­siers chauds de la planète, la Russie continue d’inquiéter les Occidentaux parce qu’elle reste une forte puissance du point de vue géographique, démogra­phique, économique et militaire. Elle possède un géant arsenal nucléaire. Aujourd’hui, elle a déjà commencé à regagner son hégémonie, de quoi inquiéter l’Occident, surtout Washington qui veut rester l’unique super­puissance ».

Un bras de fer inquiétant mais qui ne risque tout de même pas de dégénérer. « Les superpuissances vont tout faire pour éviter toute confrontation directe qui pourrait anéantir la planète. On parle de grands pays qui possèdent de géants arsenaux nucléaires. C’est pourquoi ils tentent de jouer l’apaisement afin de trouver une issue pacifique à la crise », explique Dr Hicham Ahmed, affir­mant que le scénario le plus pro­bable serait l’éclatement d’une nouvelle guerre froide si les deux parties n’arrivent pas à trouver un compromis sur leurs zones d’in­fluence. « Poutine pourrait lais­ser la Syrie aux Occidentaux à condition que ces derniers lui laissent les mains libres en Ukraine et lèvent les sanctions qui étouffent l’économie russe. Mais ce genre de compromis ne pour­rait pas être atteint avant mars ou avril prochain, c’est-à-dire après la présidentielle américaine et après la formation du nouveau gouvernement américain », pré­voit Dr Hicham Ahmed.

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