Un compromis entre Washington et Moscou n'est pas attendu avant la présidentielle américaine.(Photo:Reuters )
Déclenchée en 2014 à cause des divergences sur l’Ukraine, la crise entre l’Occident et la Russie ne cesse de prendre de l’ampleur. En plus de l’Ukraine, d’autres facteurs continuent d’envenimer les relations entre Moscou d’une part et Washington et les capitales occidentales d’autre part, avec en premier lieu le dossier syrien. Certes, les positions sont antagonistes depuis le début de la crise syrienne, mais l’antagonisme a pris ces dernières semaines des proportions nouvelles, avec carrément des accusations franco-américaines de « crimes de guerre » commis par Moscou. Dans la foulée de ces accusations, le président russe, Vladimir Poutine, a annulé sa visite prévue le 19 octobre dans la capitale française, accusant la France d’avoir cherché à « envenimer la situation » en forçant la Russie, la semaine dernière, à mettre son veto au projet de résolution à l’Onu sur l’arrêt des bombardements en Syrie. Pourtant, de part et d’autre, on tente l’apaisement : le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, s’est dit peu favorable à des sanctions contre la Russie, réaffirmant la volonté de la France de poursuivre son dialogue avec ce pays. Côté russe, le président russe, Vladimir Poutine, a affirmé être disposé à « visiter Paris lorsque le président Hollande se sentira à l’aise pour le voir », a assuré le Kremlin.
S’il est prématuré de parler de crimes de guerre en Syrie — aucune enquête n’est encore engagée —, il est tout de même sûr que Moscou tente un coup de force en Syrie : « Poutine tente de tirer profit de la paralysie qui frappe les Etats-Unis à l’approche des élections et de réaliser de grandes avancées en Syrie. Car une victoire des forces du président Bachar Al-Assad à Alep signifierait une victoire écrasante pour Poutine et un coup dur pour l’Occident. Si Poutine vainc l’Occident en Syrie, cela lui permettra de négocier en position de force non seulement sur la Syrie, mais aussi sur les points de contentieux avec les Européens, comme l’Ukraine », explique Dr Hicham Ahmed, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire.
Syrie, Ukraine, deux dossiers indissociables
En effet, c’est la question ukrainienne qui a relancé les tensions Occident-Russie et qui a rétabli le climat de guerre froide. L’intervention russe en Ukraine et l’annexion de la Crimée en avril 2014 ont attisé le bras de fer entre l’Occident et la Russie. Et c’est dans un contexte de forte tension entre les deux côtés que s’est tenu le sommet de l’Otan les 8 et 9 juillet à Varsovie où l’Otan a musclé sa présence militaire à l’Est face à la Russie. Selon Dr Hicham Ahmed, le dossier syrien est indissociable du dossier ukrainien. Ce sont deux faces d’une même médaille, dit-il : Moscou n’est pas intervenu en Syrie pour soutenir seulement le régime syrien, mais plutôt pour casser l’isolement international où il est confiné depuis l’annexion de la Crimée et, plus important, pour faire pression sur l’Occident en ce qui concerne l’Ukraine. « Il s’agit d’une sorte de chantage. Poutine veut dire à l’Occident : Laissez-moi l’Ukraine et je vous laisse la Syrie. C’est pourquoi il se déploie à sortir vainqueur de la Syrie », explique Dr Hicham Ahmed. Preuve que les deux dossiers ukrainien et syrien sont indissociables : le président français, François Hollande, a fait sortir cette semaine la carte de l’Ukraine à son homologue russe, disant souhaiter l’élaboration d’une feuille de route engageant l’ensemble des parties et visant au rétablissement du contrôle par l’Ukraine de sa frontière avec la Russie en faveur d’un règlement pacifique de la crise à l’Est de l’Ukraine. M. Hollande a souligné qu’il était prêt à participer à une nouvelle rencontre — France, Allemagne, Russie, Ukraine — qui devrait donner une impulsion décisive en vue de la résolution de la crise. Une façon de manier la carotte à Moscou pour la ramener à la table des négociations.
Accusations tous azimuts
Exacerbés par les avancées russes en Syrie et en Ukraine, les Etats-Unis ont tenté de faire pression sur la Russie, l’accusant d’ingérence dans la présidentielle américaine, en orchestrant les récents piratages d’e-mails de personnes et d’institutions américaines. Le mois dernier, la candidate démocrate Hillary Clinton a dénoncé les agissements du Kremlin, l’accusant de « graves » interférences pour faire élire son adversaire Donald Trump. Rejetant ces accusations infondées, le Kremlin a dénoncé samedi le niveau d’agressivité sans précédent des Etats-Unis, dénonçant une « hystérie » américaine destinée à « manipuler l’opinion publique ». Selon Dr Hicham Ahmed, ces accusations américaines sont « ridicules ». « C’est un faux prétexte infondé qui vise à isoler de plus en plus Moscou sur la scène internationale, car nul ne pourrait influencer le résultat des élections dans une grande démocratie comme les Etats-Unis », ironise l’expert.
Aussi, selon Dr Norhane Al-Cheikh, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, « outre la divergence de leurs intérêts sur la plupart des dossiers chauds de la planète, la Russie continue d’inquiéter les Occidentaux parce qu’elle reste une forte puissance du point de vue géographique, démographique, économique et militaire. Elle possède un géant arsenal nucléaire. Aujourd’hui, elle a déjà commencé à regagner son hégémonie, de quoi inquiéter l’Occident, surtout Washington qui veut rester l’unique superpuissance ».
Un bras de fer inquiétant mais qui ne risque tout de même pas de dégénérer. « Les superpuissances vont tout faire pour éviter toute confrontation directe qui pourrait anéantir la planète. On parle de grands pays qui possèdent de géants arsenaux nucléaires. C’est pourquoi ils tentent de jouer l’apaisement afin de trouver une issue pacifique à la crise », explique Dr Hicham Ahmed, affirmant que le scénario le plus probable serait l’éclatement d’une nouvelle guerre froide si les deux parties n’arrivent pas à trouver un compromis sur leurs zones d’influence. « Poutine pourrait laisser la Syrie aux Occidentaux à condition que ces derniers lui laissent les mains libres en Ukraine et lèvent les sanctions qui étouffent l’économie russe. Mais ce genre de compromis ne pourrait pas être atteint avant mars ou avril prochain, c’est-à-dire après la présidentielle américaine et après la formation du nouveau gouvernement américain », prévoit Dr Hicham Ahmed.
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