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Moscou enfonce le clou en Crimée

Maha Al-Cherbini avec agences, Mardi, 20 septembre 2016

Les législatives russes de dimanche dernier se sont également tenues et pour la première fois en Crimée. Une provocation qui risque d'envenimer les relations entre Moscou et l'Occident.

Moscou enfonce le clou en Crimée
L'organisation des élections russes en Crimée à déchaîné la colère de l'Occident et de Kiev. (Photo:AP)

Des airs de guerre froide planent toujours sur les relations entre la Russie et l’Occident depuis l’in­tervention russe en Ukraine et l’an­nexion de la Crimée par la Russie en mars 2014, à l’issue d’un référendum considéré comme illégal par Kiev et par les Occidentaux. En effet, bafouant les menaces européennes, la Russie a paru cette semaine plus déterminée que jamais à défendre bec et ongles ses anciennes zones d’in­fluence, le président russe Vladimir Poutine déclarant que la question de l’appartenance territoriale de la Crimée était « fermée une fois pour toutes ». Et Moscou a tenu dimanche dernier, pour la première fois, un scrutin en Crimée dans le cadre des législatives russes, largement rempor­tées par le parti au pouvoir Russie Unie avec 54 % des voix.

Exacerbé par le taux de participa­tion élevé enregistré lors des législa­tives en Crimée, le président ukrai­nien, Petro Porochenko, est allé jusqu’à menacer de sanctions les habitants de la péninsule qui ont par­ticipé aux législatives russes. Partageant cette même colère, le porte-parole de la diplomatie améri­caine John Kirby a affirmé : « Les Etats-Unis ne reconnaîtront pas les résultats des élections russes organi­sées en Crimée sous occupation russe. La Crimée reste partie inté­grante de l’Ukraine », s’insurge M. Kirby, affirmant que son pays va ren­forcer ses sanctions contre la Russie, alors que l’Union européenne a pro­longé jusqu’au 15 mars 2017 ses sanctions s’appliquant à près de 200 personnes ou organisations, russes et ukrainiennes, accusées de menacer l’intégrité territoriale de l’Ukraine.

Selon Dr Norhane Al-Cheikh, pro­fesseure de sciences politiques à l’Université du Caire, ces sanctions ne vont pas ébranler la détermination de Poutine à défendre les anciennes républiques soviétiques. « Poutine ne va jamais accepter l’installation des bases de l’Otan aux frontières russes : il va s’employer à protéger ses zones d’influence. Désormais, trois raisons renforcent la position de Poutine dans sa guerre contre l’Occident : sa forte popularité dans son pays et la victoire de son parti aux législatives qui vont lui permettre de préparer sa candidature pour un quatrième man­dat en 2018, la faiblesse de l’Union européenne qui se fragilise après le retrait de la Grande-Bretagne et enfin la hausse de possibilités de victoire de Donald Trump aux élections amé­ricaines, car ce dernier a promis de renforcer les relations des Etats-Unis avec la Russie en cas de sa victoire à l’encontre de l’Administration Obama, qui a des relations pertur­bées avec Moscou », affirme l’expert.

Preuve de la détermination russe à ne jamais rebrousser chemin, Moscou a mené ses plus importants exercices militaires en Crimée depuis 2014. Il s’agit d’une démonstration de force, voire d’un message clair des capaci­tés de la Russie à défendre la Crimée. L’armée de l’air, de terre et la marine se sont mobilisées dans ces manoeuvres qui simulaient une tenta­tive d’invasion de la Crimée par une force étrangère.

L’UE souffle le chaud et le froid

Face à cette obstination russe, le Club européen a réalisé que la poli­tique du bâton ne remporterait aucun fruit avec la Russie. Raison pour laquelle l’UE a décidé de changer de tactique vis-à-vis de Moscou, préfé­rant souffler le chaud et le froid pour ne pas plonger dans une nouvelle guerre froide. Selon Dr Hicham Ahmed, professeur de sciences poli­tiques à l’Université du Caire, c’est l’Occident qui adoptait souvent une politique provocatrice vis-à-vis de Moscou, soit en étendant ses zones d’influence dans l’ancienne sphère d’influence soviétique en Europe orientale, soit en tentant de faire adhérer à l’Alliance les ex-répu­bliques soviétiques comme l’Ukraine et la Géorgie.

Analysant les motifs de ce change­ment de tactique vis-à-vis de Moscou, Dr Norhane Al-Cheikh explique : « L’UE était obligée de changer de politique avec Moscou car elle passe par une période de faiblesse sans précédent. La Grande-Bretagne s’en est retirée. De plus, des voix au sein de l’UE appellent à l’expulsion de la Hongrie à cause de sa politique réti­cente sur le dossier migratoire. Il y a aussi une division au sein du Club européen sur la position à adopter face à la Russie. Au moment où l’Al­lemagne adopte une attitude réticente vis-à-vis de Moscou, des pays comme l’Italie et la Grèce sont pour une ouverture avec la Russie, de quoi jouer en faveur de Moscou ».

Dans une tentative d’ouvrir la porte du dialogue avec Moscou, l’Otan a eu cette semaine des pour­parlers avec la Russie afin d’apaiser les tensions nées de la crise ukrai­nienne. Aux antipodes de la ligne dure adoptée à Varsovie, l’Alliance a affirmé sa disposition à poursuivre le dialogue afin de réduire les tensions, sans toutefois infléchir sa politique envers Moscou. « Notre coopération reste en suspens en raison des actions agressives entreprises par la Russie à l’égard de l’Ukraine. Dans le même temps, nous avons décidé de laisser ouvertes les voies du dialo­gue politique », a affirmé le secré­taire général délégué de l’Otan, l’ambassadeur Alexander Vershbow.

Dans cette même optique d’ouver­ture, les ministres français et alle­mand des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault et Frank-Walter Steinmeier, se sont rendus cette semaine dans l’est de l’Ukraine, bas­tion des séparatistes pro-russes, une première depuis le début de la crise ukrainienne. La visite des ministres européens a pour but de relancer les accords de paix de Minsk signés en février 2015 et dont la mise en oeuvre « avance à pas d’escargot », selon le chef de la diplomatie allemande. Paris et Berlin veulent relancer le processus de paix afin de permettre l’organisation à l’automne d’un sommet des dirigeants français, russe, allemand et ukrainien. Malgré l’instauration de plusieurs trêves, la dernière en date remontant au 1er septembre à l’occasion de la rentrée scolaire, les affrontements se pour­suivent dans l’est de l’Ukraine. Le 13 septembre seulement, l’OSCE a enregistré 275 explosions dans la région séparatiste de Donetsk, ce qui n’augure rien de bon pour cette ex-république soviétique tiraillée depuis plus de deux ans entre les Grands de la terre. Il semble que le mal ukrai­nien perdurera tant que les super­puissances restent aveuglées par leur désir d’élargir leurs zones d’in­fluence .

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