Pendant la semaine dernière, plusieurs attentats ont été revendiqués par les Kurdes en Turquie.
(Photo : AP)
Le processus de paix entre Ankara et le PKK pourrait-il revoir le jour ou serait-il jeté aux oubliettes ? La question s’impose avec force à la suite de cette récente vague de violences kurdes qui frappe la Turquie un mois après le putsch avorté du 15 juillet. Après quatre semaines de calme relatif, une campagne d’attentats meurtriers sans précédent imputée à la guérilla kurde a repris avec force touchant pour la première fois des régions où la population n’est pas majoritairement kurde. Vendredi dernier, le PKK a commis trois attaques sanglantes, faisant au moins 15 morts et plus de 200 blessés dans l’est et le sud-est du pays. La veille, un autre attentat à la voiture piégée a fait 5 morts et 145 blessés à Elazig (est), un bastion nationaliste qui avait été épargné jusqu’à présent par le conflit kurde. Sans compter d’autres attentats qui ont ensanglanté le pays tout au long de la semaine dernière. Selon l’aile militaire du PKK, ces attaques ne sont qu’une réponse à la répression des forces turques contre les villes kurdes du sud-est, à majorité kurde, de la Turquie. Au début du mois, le commandant du PKK, Cemil Bayik, avait menacé d’intensifier les attaques contre la police «
dans toutes les villes de Turquie » et non pas seulement dans le sud-est à majorité kurde, théâtre habituel des violences. «
Le PKK veut profiter de l’actuelle atmosphère en Turquie. Toute organisation terroriste aime profiter des crises », a dénoncé le premier ministre, Binali Yildirim, en référence au coup d’Etat raté, assurant que la Turquie ne baisserait jamais les bras contre le PKK.
En fait, le conflit kurde a toujours été la question la plus problématique pour les différents gouvernements turcs. Depuis 1984, ce conflit a coûté la vie à plus de 40 000 personnes. Et ce n’est qu’en 2009 qu’un processus de paix a été lancé entre Ankara et le PKK après trente ans de guerre sanglante. Mais en novembre dernier, après les élections générales, Ankara a annoncé la suspension des pourparlers avec les séparatistes kurdes, étouffant les espoirs d’une paix durable. « Le pouvoir turc voulait résoudre la crise kurde pour remplir l’une des conditions exigées par l’Union Européenne (UE). Mais avec les réticences de plus en plus visibles de l’UE, Ankara a fait volte-face en suspendant les pourparlers de paix. De plus, le renforcement de l’épine des Kurdes en Syrie et en Iraq soutenus par la coalition internationale face à Daech inquiète Erdogan, qui craint les velléités indépendantistes kurdes, surtout que la plus grande communauté kurde se trouve en Turquie (20 % de la population) », analyse Dr Norhane Al-Cheikh, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire.
Plusieurs motifs
Bien que les forces de sécurité subissent des attaques quasi quotidiennes du PKK depuis qu’un cessez-le-feu entre les rebelles et les forces gouvernementales a pris fin l’année dernière, ces attaques n’avaient jamais pris cette ampleur ni cette intensification. De quoi porter à réfléchir aux motifs de cette escalade sans précédent. Il va sans dire que le PKK veut profiter des récents événements qui ont fragilisé le pouvoir turc après le putsch : il saisit l’occasion de la déstabilisation du pays, surtout que des milliers de policiers et de soldats ont été limogés ou inculpés dans la foulée de la purge massive lancée par le pouvoir, faisant craindre un affaiblissement des moyens de l’Etat pour combattre le PKK. « Autre motif qui a provoqué la colère kurde, c’est la stratégie agressive qu’a adoptée le pouvoir turc vis-à-vis des Kurdes après le putsch. Ces dernières semaines, Erdogan a pris une série de mesures contre les Kurdes qu’il accuse de vouloir déstabiliser le pays comme le mouvement de Fethullah Gülen. Ces attaques ne sont qu’une réponse à ces mesures », affirme Dr Moustapha Al-Sayed, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. Cette analyse a sa part de crédibilité car juste après le putsch, le président turc a tenu à montrer les dents aux Kurdes, voire à les marginaliser de tout processus politique. La semaine dernière, M. Erdogan a tenu à recevoir les principaux leaders politiques des partis de l’opposition, à l’exception de Selahattin Demirtas, le leader du HDP (parti pro-kurde). De quoi provoquer la colère kurde car Demirtas avait été l’un des premiers responsables turcs à condamner la tentative de coup d’Etat. Par ce geste, le leader du HDP voulait tendre la main à son adversaire pour une reprise sereine du dialogue politique, mais en vain. « Je ne peux tenir des réunions qu’avec des groupes qui défendent ces quatre principes : une patrie, un peuple, un Etat et un drapeau. Ma ligne rouge, c’est de ne pas rencontrer ceux qui se sont imprégnés par la terreur », a annoncé Erdogan. Autre mesure de rétorsion, un tribunal d’Istanbul a décidé cette semaine d’interdire de manière provisoire la parution du journal pro-kurde Özgür Gündem pour propagande du PPK.
Outre ces motifs internes, un autre facteur régional a nourri cette vague de violences : le renforcement de l’épine des Kurdes syriens et iraqiens qui a animé le rêve de la séparation et la formation d’un Kurdistan unifié chez les Kurdes de Turquie. « Je pense que la crise kurde est encore loin d’être réglée en Turquie. Les jours à venir seront les plus difficiles pour Erdogan s’il n’arrive pas à régler la crise kurde le plus vite possible », prévoit Dr Moustapha Al-Sayed.
Enchevêtrement de crises
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, ne sait plus où donner de la tête. Samedi dernier, un attentat sanglant a fait au moins 50 morts lors d’un mariage à Gaziantep, ville du sud-est de la Turquie, proche de la frontière syrienne. Un attentat qui aurait été commis par un kamikaze, selon le gouverneur de la province, Ali Yerlikaya, et qui porte la signature de l’Etat Islamique (EI) selon Erdogan. En effet, dans un communiqué publié dimanche, le chef de l’Etat turc a dit ne faire « aucune différence » entre le prédicateur en exil Fethullah Gülen, qu’il accuse d’avoir ourdi le coup d’Etat raté du 15 juillet, les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et le groupe djihadiste EI, « probable auteur de l’attentat de Gaziantep ». « Notre pays, notre nation ne peuvent que réitérer un seul et même message à ceux qui nous attaquent : vous échouerez ! », a-t-il encore écrit. Un responsable turc a indiqué que le mariage « se déroulait en plein air » et dans un quartier du centre de Gaziantep à forte concentration kurde, ce qui renforce les spéculations sur un attentat djihadiste.
Selon l’agence de presse Dogan, les mariés étaient originaires de la région majoritairement kurde de Siirt, plus à l’est, et avaient été déplacés en raison des violences entre les rebelles kurdes et les forces gouvernementales. D’après l’agence, un kamikaze s’est mêlé aux invités dont un grand nombre de femmes et d’enfants, avant d’actionner sa charge. Les forces de sécurité sont désormais à la recherche de deux personnes qui l’accompagnaient et se sont enfuies après l’attaque. Il est à noter également que Gaziantep est devenue le point de passage de très nombreux réfugiés syriens fuyant la guerre, qui dure depuis plus de 5 ans et demi dans leur pays. La zone abriterait aussi, en dehors des réfugiés et des militants de l’opposition, un nombre significatif de djihadistes.
Lien court: