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Les manoeuvres belliqueuses d’Al-Nosra

Inès Eissa avec agences, Lundi, 01 août 2016

Afin de préserver sa place dans l'avenir de la Syrie, le Front Al-Nosra a renoncé à son allégeance à Al-Qaëda. De quoi compliquer davantage la scène syrienne.

Dans un coup de théâtre imprévu, le Front Al-Nosra a décidé de rompre son affilia­tion à Al-Qaëda, le réseau djihadiste au nom duquel il combattait en Syrie depuis 2013, pour éviter d’être la cible des frappes aériennes russo-américaines. Dans une vidéo diffusée jeudi par la chaîne qatari Al-Jazeera, Abou-Mohammad Al-Jolani a annoncé que son groupe avait changé de nom et qu’il s’appelait désormais « Front Fateh Al-Cham » (Conquête de la Syrie, en arabe). Cette déci­sion ne signifie pas pour autant une rupture idéologique avec Al-Qaëda, le Front mainte­nant son rêve ultime qui est la création d’un émirat islamique. Cette décision visait à « protéger la révolution syrienne » et à « faire ôter les prétextes avancés par la communauté internationale » pour viser le groupe classé « terroriste » par Washington, a annoncé Al-Joulani. Al-Nosra, composé de 7 000 à 8 000 combattants, est considéré comme l'une des plus importantes organisations djihadistes en Syrie après son grand rival Etat Islamique (EI). Le nouveau Front « n’aura aucun lien avec des parties étrangères », a ajouté le chef de l’organisation qui occupe des pans de terri­toires avec des groupes rebelles alliés en Syrie.

Al-Nosra est apparu officiellement en Syrie en janvier 2012, soit dix mois après le début de la révolte pacifique contre le régime, qui a été réprimée dans le sang avant de se transfor­mer en conflit dévastateur. En avril 2013, le Front Al-Nosra a prêté allégeance au chef d’Al-Qaëda, Ayman Al-Zawahri, qui a pro­clamé ensuite cette organisation comme l’unique branche d’Al-Qaëda en Syrie. La grande différence entre Al-Nosra et l’EI réside dans le fait que le premier s’est allié aux rebelles et s’est constitué un soutien popu­laire. Par contre, l’EI combat tous ceux qui ne lui prêtent pas allégeance. Avec Al-Qaëda dans la Péninsule Arabique (Aqpa) et Al-Qaëda au Maghreb (Aqmi), Al-Nosra était l’un des plus puissants groupes membres du réseau. Al-Nosra contrôle avec les rebelles des régions de la province d’Alep (nord) et de vastes secteurs d’Idleb (nord-ouest). Composé essentiellement de combattants djihadistes syriens, il se distingue toutefois de la rébel­lion par son aspiration à un émirat islamique en Syrie. « L’opposition syrienne a beaucoup de mal à cacher l’omniprésence de ces com­posantes islamistes, ce caractère islamiste est d’autant plus difficile que le contexte interna­tional actuel est devenu peu favorable aux mouvances islamistes », dit un diplomate qui a requis l’anonymat. « Il n’en reste pas moins que l’Arabie saoudite et la Turquie ont du mal à renoncer à leur soutien aux groupes isla­mistes surtout qu’ils ont montré une ineffica­cité militaire au sol », ajoute le diplomate.

Cette tactique reste néanmoins peu convain­cante pour la coalition internationale contre le terrorisme. « La branche syrienne d’Al-Qaëda, le Front Al-Nosra, continue d’être considérée comme un groupe terroriste et une menace pour les Etats-Unis malgré sa rupture annoncée avec le réseau djihadiste », a indi­qué jeudi l’Administration américaine. Les Etats-Unis « continuent d’estimer que les diri­geants du Front Al-Nosra maintiennent leur intention de mener des attaques contre les pays occidentaux », a déclaré le porte-parole de la Maison Blanche, Josh Earnest. « Nous ne voyons aucune raison de penser que leurs actions ou leurs objectifs sont devenus diffé­rents » après cette annonce de rupture, a indi­qué de son côté le porte-parole du département d’Etat, John Kirby. « Ils sont toujours consi­dérés comme une organisation terroriste étrangère », a-t-il ajouté. « Ces organisations sont extraordinairement rusées, extraordinai­rement flexibles. Il faut s’attendre à ce qu’elles entreprennent des choses », a déclaré le chef du commandement militaire américain au Moyen-Orient, le général Joe Votel. « Elles peuvent peut-être ajouter une branche à l’arbre, la rendre un peu différente, mais cette branche trouve son origine dans une idéologie et une approche fondamentaliste. Au centre de tout ça, c’est toujours Al-Qaëda », a dit le général Votel, qui supervise notamment les forces engagées en Syrie, en Iraq et en Afghanistan. Un avis partagé par le diplo­mate : « L’affiliation du Front Al-Nosra au groupe terroriste Al-Qaëda représente un obs­tacle aux pourparlers intersyriens. Cependant, il est de toute évidence que le simple fait de changer le nom d’Al-Nosra ne change pas la nature extrémiste du groupe, ce qu’il faut pour le front, c’est une révision de fond de l’idéolo­gie politique de ses membres » .

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