Dans un coup de théâtre imprévu, le Front Al-Nosra a décidé de rompre son affiliation à Al-Qaëda, le réseau djihadiste au nom duquel il combattait en Syrie depuis 2013, pour éviter d’être la cible des frappes aériennes russo-américaines. Dans une vidéo diffusée jeudi par la chaîne qatari Al-Jazeera, Abou-Mohammad Al-Jolani a annoncé que son groupe avait changé de nom et qu’il s’appelait désormais « Front Fateh Al-Cham » (Conquête de la Syrie, en arabe). Cette décision ne signifie pas pour autant une rupture idéologique avec Al-Qaëda, le Front maintenant son rêve ultime qui est la création d’un émirat islamique. Cette décision visait à « protéger la révolution syrienne » et à « faire ôter les prétextes avancés par la communauté internationale » pour viser le groupe classé « terroriste » par Washington, a annoncé Al-Joulani. Al-Nosra, composé de 7 000 à 8 000 combattants, est considéré comme l'une des plus importantes organisations djihadistes en Syrie après son grand rival Etat Islamique (EI). Le nouveau Front « n’aura aucun lien avec des parties étrangères », a ajouté le chef de l’organisation qui occupe des pans de territoires avec des groupes rebelles alliés en Syrie.
Al-Nosra est apparu officiellement en Syrie en janvier 2012, soit dix mois après le début de la révolte pacifique contre le régime, qui a été réprimée dans le sang avant de se transformer en conflit dévastateur. En avril 2013, le Front Al-Nosra a prêté allégeance au chef d’Al-Qaëda, Ayman Al-Zawahri, qui a proclamé ensuite cette organisation comme l’unique branche d’Al-Qaëda en Syrie. La grande différence entre Al-Nosra et l’EI réside dans le fait que le premier s’est allié aux rebelles et s’est constitué un soutien populaire. Par contre, l’EI combat tous ceux qui ne lui prêtent pas allégeance. Avec Al-Qaëda dans la Péninsule Arabique (Aqpa) et Al-Qaëda au Maghreb (Aqmi), Al-Nosra était l’un des plus puissants groupes membres du réseau. Al-Nosra contrôle avec les rebelles des régions de la province d’Alep (nord) et de vastes secteurs d’Idleb (nord-ouest). Composé essentiellement de combattants djihadistes syriens, il se distingue toutefois de la rébellion par son aspiration à un émirat islamique en Syrie. « L’opposition syrienne a beaucoup de mal à cacher l’omniprésence de ces composantes islamistes, ce caractère islamiste est d’autant plus difficile que le contexte international actuel est devenu peu favorable aux mouvances islamistes », dit un diplomate qui a requis l’anonymat. « Il n’en reste pas moins que l’Arabie saoudite et la Turquie ont du mal à renoncer à leur soutien aux groupes islamistes surtout qu’ils ont montré une inefficacité militaire au sol », ajoute le diplomate.
Cette tactique reste néanmoins peu convaincante pour la coalition internationale contre le terrorisme. « La branche syrienne d’Al-Qaëda, le Front Al-Nosra, continue d’être considérée comme un groupe terroriste et une menace pour les Etats-Unis malgré sa rupture annoncée avec le réseau djihadiste », a indiqué jeudi l’Administration américaine. Les Etats-Unis « continuent d’estimer que les dirigeants du Front Al-Nosra maintiennent leur intention de mener des attaques contre les pays occidentaux », a déclaré le porte-parole de la Maison Blanche, Josh Earnest. « Nous ne voyons aucune raison de penser que leurs actions ou leurs objectifs sont devenus différents » après cette annonce de rupture, a indiqué de son côté le porte-parole du département d’Etat, John Kirby. « Ils sont toujours considérés comme une organisation terroriste étrangère », a-t-il ajouté. « Ces organisations sont extraordinairement rusées, extraordinairement flexibles. Il faut s’attendre à ce qu’elles entreprennent des choses », a déclaré le chef du commandement militaire américain au Moyen-Orient, le général Joe Votel. « Elles peuvent peut-être ajouter une branche à l’arbre, la rendre un peu différente, mais cette branche trouve son origine dans une idéologie et une approche fondamentaliste. Au centre de tout ça, c’est toujours Al-Qaëda », a dit le général Votel, qui supervise notamment les forces engagées en Syrie, en Iraq et en Afghanistan. Un avis partagé par le diplomate : « L’affiliation du Front Al-Nosra au groupe terroriste Al-Qaëda représente un obstacle aux pourparlers intersyriens. Cependant, il est de toute évidence que le simple fait de changer le nom d’Al-Nosra ne change pas la nature extrémiste du groupe, ce qu’il faut pour le front, c’est une révision de fond de l’idéologie politique de ses membres » .
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