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Essam Abdel-Fattah : L’attentat de Nice s’inscrit dans le cadre d’une stratégie du chaos

Inès Eissa , Jeudi, 21 juillet 2016

Essam Abdel-Fattah, politologue et professeur à l’Université de Hélouan, évoque l’attentat de Nice et fournit une analyse de l’évolution de Daech.

Essam Abdel-Fattah : L’attentat de Nice s’inscrit dans le cadre d’une stratégie du chaos
Le bilan est de 84 morts, mais il risque de s'alourdir. (Photo : AP)

Al-Ahram Hebdo : Quelle incidence peut avoir l’attaque de Nice sur la lutte contre Daech ? Peut-il accélérer la fin de l’Etat Islamique (EI) en Syrie et en Iraq ?

Essam Abdel-Fattah : Je ne pense pas que l’attentat barbare de Nice puisse d’une façon ou d’une autre accélérer la fin de Daech en Syrie ou en Iraq. Ce qui est sûr c’est que ce genre d’attentat relève d’une nouvelle stratégie dite « la stratégie du chaos ». Les terroristes mènent plusieurs attaques dont l’écho retentit dans le monde entier. Certains spécialistes estiment qu’il s’agit d’attaques de désespoir, d’autres rattachent ces attentats à l’idée que Daech mène une politique djihadiste, née de la guerre civile entre croyants et incroyants, chiites et sunnites, animée par un esprit de revanche. En fait, c’est dans le chaos que Daech cherche à s’ériger en grande puissance difficile à neutraliser. En établissant un contexte de guerre sur plusieurs fronts, au nord comme au sud et sans aucune distinction de la cible (civile, militaire, entreprise ou établissement gouvernemental), l’EI tente de mobiliser l’esprit de revanche comme instrument fondateur du califat, mais aussi couper toutes les artères reliant les puissances occidentales aux pays islamiques.

— De quoi témoigne ce changement de stratégie de l’EI ?

— Daech estime que le contrôle des pays islamiques exige de couper les liens de protection entre les puissances occidentales et les régimes politiques des pays islamiques. L’attentat de Nice s’inscrit dans le cadre de cette stratégie du chaos qui ne date pas d’hier puisqu’elle est déjà pratiquée, que ce soit dans les pays arabes ou en Occident. Seulement, la tactique ou la méthode d’application a changé : un homme au volant d’un camion frigorifique fonce dans la foule rassemblée sur une place publique très populaire pour les traditionnelles festivités d’une Fête nationale. Il tue massivement les civils sans aucune distinction de leur nationalité, leur religion ou leur idéologie.

En outre, il n’est pas difficile à Daech de trouver et de recruter au sein des sociétés européennes des éléments remplissant certaines conditions appropriées pour pouvoir accomplir avec succès cette mission barbare : Arabes ou Africains marginalisés ou vivant dans la précarité et souffrant d’une injustice sociale ou de discrimination.

— Qui porte la responsabilité de la radicalisation des Européens musulmans, les pays musulmans eux-mêmes ou bien les pays d’accueil et l’échec de leur politique d’intégration ?

— L’intégrisme et le fanatisme sont les conséquences de plusieurs facteurs sociaux et culturels. On trouve l’intégrisme dans toutes les religions. L’intégrisme ou le fondamentalisme est une attitude d’esprit consistant à croire détenir tout seul la vérité absolue et à considérer toute autre position idéologique différente comme hérétique et devant être éradiquée. Si le fondamentalisme est plus sensible dans le monde islamique, cela s’explique par le fait que les pays islamiques ne parviennent pas à moderniser leur discours religieux. Les institutions islamiques assument la responsabilité majeure de ce phénomène. Le problème fondamental pour ces institutions est de reformer les formateurs afin qu’ils puissent accomplir le devoir de moderniser le discours religieux.

Quant aux pays occidentaux, leurs gouvernements en sont également responsables dans la mesure où leur politique d’intégration a été en quelque sorte vouée à l’échec. D’où la nécessité de la revoir pour remédier à ces lacunes.

— La France ne paye-t-elle pas aussi le prix de ses politiques en Syrie ?

— Je ne crois pas que la France mène une politique erronée en Syrie, une politique qu’elle aurait payé cher à travers des attentats commis sur son territoire. Je pense au contraire que toutes les puissances occidentales sont beaucoup plus préoccupées par leurs propres intérêts que par la nécessité d’éradiquer le terrorisme. Beaucoup de pays occidentaux ont à un moment donné profité de l’intégrisme de certaines factions islamistes pour servir leurs propres intérêts. Les Etats-Unis, par exemple, ont instrumentalisé Al-Qaëda et la confrérie des Frères musulmans pour servir leurs intérêts. On n’arrivera jamais à mettre fin à Daech, si l’on ne se débarrasse pas de cette position égoïste. Le terrorisme impose la responsabilité de s’unifier pour adopter une stratégie de lutte internationale commune à laquelle se pliera toute la société internationale.

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