31 000 soldats de 24 pays participent à « Anaconda », une opération qui vise à tester la réaction des alliés face à une attaque hybride.
(Photo:AP)
Comme au bon vieux temps de la Guerre froide. Le scénario de l’opération « Anaconda » est digne de l’époque où les Etats-Unis et l’ex-URSS s’affrontaient : il prévoit la défense de « l’Union des Bleus » face à un agresseur imaginaire appelé « l’Union des Rouges », qui a pour cibles les pays Baltes et le nord de la Pologne. Le scénario de cet exercice de dix jours ne laisse aucun doute : « Le but de l’exercice est de vérifier la capacité des pays de l’Alliance à défendre son flanc oriental » face à la Russie, c’est ce qu’a déclaré le ministre polonais de la Défense, Antoni Macierewicz, lundi 6 juin à Varsovie, jour du lancement d’« Anaconda », une opération qui doit durer jusqu’au 17 juin. Il s’agit aussi de vérifier la capacité de réaction des Alliés à une attaque hybride, c’est-à-dire combinant armes conventionnelles, cyber-attaques et armes chimiques. Et « Anaconda », c’est tout de même quelque 31 000 soldats de 24 pays, 3 000 véhicules, 105 avions ainsi que 12 navires, le gros du contingent venant des Etats-Unis (14 000 soldats), suivis de la Pologne (12 000 hommes). Présent lors de la cérémonie d’ouverture, le général Mark Milley, chef d’état-major de l’armée américaine, a souligné que pour les forces de son pays, le but de cet exercice était de démontrer qu’elles se tenaient « coude à coude avec la Pologne, avec le peuple et l’armée polonaise, ainsi qu’avec l’Otan, afin que chaque pays soit libre et indépendant ». Il a également rappelé que l’armée américaine allait augmenter sa présence militaire en Europe centrale et orientale.
Si l’Otan tient à montrer ses muscles, la Russie, de son côté, tient à afficher le plus grand calme en réagissant d’une manière très mesurée. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, s’est contenté de dire que ces exercices « ne contribuent pas à favoriser l’atmosphère de confiance et de sécurité » en Europe. « Il y a toujours actuellement, malheureusement, un déficit de confiance mutuelle » entre l’Alliance et la Russie, a-t-il ajouté, précisant que le dialogue se poursuivait néanmoins au niveau des ambassadeurs. De son côté, le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a déclaré : « Je suis convaincu que tout homme politique sérieux et honnête est bien conscient que la Russie n’essaiera jamais d’envahir un pays membre de l’Otan. Nous n’avons pas de tels projets (…). Il n’y a pas de menaces dans cette partie du monde qui justifieraient que l’Otan se développe ».
Car le plus important n’est justement pas l’opération « Anaconda », mais le fait qu’elle intervienne à moins d’un mois du sommet de l’Otan, prévu les 8 et 9 juillet prochain à Varsovie. Et une réunion des ministres de la Défense de l’Otan s’est tenue ce mardi 14 juin en prélude au prochain sommet. Un sommet qui devrait marquer la plus grande refonte de l’organisation depuis la Guerre froide, puisque l’Alliance devrait officiellement annoncer un déploiement par rotation permanente tous les neuf mois d’une brigade blindée en Europe orientale. Les unités de cette brigade devraient être déployées dans les pays Baltes, en Pologne, en Roumanie et en Bulgarie. Et cela aussi a provoqué la colère de Moscou, qui s’oppose fermement à l’installation de bases permanentes de l’Otan dans les pays ayant appartenu à l’ex-Union soviétique et au bloc communiste. « Dans ce cas, le droit souverain de la Russie d’assurer sa sécurité entrera en vigueur, (faisant usage) de méthodes adéquates pour (répondre aux) défis d’aujourd’hui », a mis en garde Sergueï Lavrov. Quant au ministre russe de la Défense, le général Sergueï Choïgou, il avait répondu aux intentions de l’Otan en déclarant que trois nouvelles divisions militaires seront créées en Russie pour y faire face. Moscou s’appuie sur une promesse faite officiellement par l’Otan en 1997 de ne pas se déployer dans ces régions, lorsque la détente consécutive à la chute du communisme était à son comble. Pour les partisans d’un déploiement permanent, cet engagement occidental a perdu sa raison d’être depuis l’annexion de la Crimée par la Russie.
Le bras de fer entre l’Otan et Moscou est donc bel et bien engagé. « La Russie a triplé son budget de Défense à un rythme impressionnant et elle a fait usage de la force contre ses voisins, singulièrement en Ukraine, pour annexer la Crimée. L’Otan a le devoir de protéger ses alliés en répondant à cet étalage de force de façon proportionnée, afin d’éviter toute escalade. C’est pourquoi nous envisageons toujours de déployer quatre bataillons dans les pays Baltes et en Pologne », a ainsi déclaré Jens Stoltenberg, secrétaire général de l’Otan, dans une interview accordée le 8 juin au Journal du dimanche. Tout en tempérant ses propos : « Nous ne considérons pas la Russie comme une menace imminente, et l’Otan ne veut pas de nouvelle guerre froide avec la Russie ». Jens Stoltenberg avait auparavant déclaré que des « décisions capitales » allaient être prises lors du prochain sommet.
« La Russie, une menace potentielle »
Et lors de l’assemblée parlementaire de l’Otan tenue le 30 mai dernier à Tirana en Albanie, les participants avaient appelé les alliés à se tenir prêts à répondre à « la menace potentielle » de la Russie contre l’un d’entre eux. « Le défi en provenance de la Russie est réel et sérieux », avait alors déclaré l’Américain Michael Turner, tandis que la déclaration adoptée à l’unanimité déplorait « l’usage de la force par la Russie contre ses voisins et les tentatives d’intimidation des alliés » de l’Otan. Dans ces circonstances, l’Otan « n’a pas d’autre choix que de considérer l’éventualité d’une action agressive de la Russie contre un membre de l’Alliance comme une menace potentielle, et d’adopter des réponses adaptées et proportionnées », ajoutait la déclaration.
Déjà l’Otan a interrompu tous les aspects pratiques de sa coopération avec la Russie à la suite de l’annexion de la Crimée par la Russie, et en raison du soutien de la Russie aux séparatistes dans l’est de l’Ukraine, mais l’Alliance a annoncé qu’elle aurait des discussions avec la Russie avant le sommet de juillet prochain. En avril dernier, le Conseil Otan-Russie avait tenu sa première réunion depuis juin 2014, mais les discussions se sont soldées par « de graves désaccords » concernant l’Ukraine et d’autres sujets, bien que le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, eût assuré à l’époque que les échanges avaient été « fructueux ».
Provocation
Le prochain sommet de l’Otan s’annonce donc comme une provocation de plus contre la Russie. Surtout il intervient à un moment où l’Alliance atlantique, dont l’existence même est remise en cause par certains, est en pleine mutation. Apparu en période trouble de Guerre froide pour défendre les intérêts occidentaux contre l’ex-URSS et en défense au pacte de Varsovie, l’Otan n’était pas censée se développer au-delà de la Guerre froide. Pourtant, l’Organisation est aujourd’hui l’une des plus grandes puissances armées du monde. Et ne cesse de s’élargir : un autre signal a été lancé à la Russie jeudi dernier avec la signature du protocole d’accession avec le Monténégro. Il s’agit pour l’Otan de reprendre le fil de son extension à l’est qu’elle a mené durant la décennie 2000, en intégrant d’anciens Etats du Pacte de Varsovie. Le message à Moscou est clair : l’extension de l’Otan peut aller encore plus loin et se rapprocher encore plus de la Russie.
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