
La rencontre entre John Kerry et Javad Zarif visait à apaiser les tensions entre les deux pays.
(Photo:Reuters)
Après l’enthousiasme qui a suivi la conclusion puis l’entrée en vigueur de l’accord historique sur le nucléaire entre Téhéran et les Six, l’heure est aujourd’hui au scepticisme. Pour la première fois depuis la conclusion de l’accord en juillet dernier, un vent de protestations a soufflé très fort cette semaine en Iran qui se plaint du fait que l’élimination des sanctions ne lui a pas rapporté les « bénéfices prévus ». Car en dépit de la levée des sanctions, les banques et entreprises occidentales sont réticentes à rétablir des relations avec ce pays de crainte que leurs opérations ne tombent sous le coup des sanctions des Etats-Unis. Car Washington continue de sanctionner Téhéran pour son « soutien au terrorisme » et pour son programme de missiles balistiques. Il s’agit en effet de manipulations de la part des Américains, qui, tout en maintenant la pression sur l’Iran, tiennent à préserver l’accord conclu à l’arraché, surtout qu’il constitue l’unique victoire pour l’Administration Obama après ses échecs en Iraq et en Afghanistan.
Raison pour laquelle les Etats-Unis ont joué l’apaisement tout au long de cette semaine, tenant à rassurer le régime des mollahs sur le rythme de la levée des sanctions. Pour la seconde fois cette semaine, le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, s’est entretenu vendredi à New York avec son homologue iranien, Javad Zarif, et s’est efforcé de le rassurer sur la levée effective des sanctions, reconnaissant que l’Iran n’avait récupéré pour l’instant que « 3 milliards de dollars » contre 55 milliards de dollars escomptés. « Les Etats-Unis sont conscients des inquiétudes de l’Iran. Nous avons levé les sanctions liées au nucléaire et nous ne nous dressons pas en travers du chemin des banques étrangères engagées avec des banques et des entreprises iraniennes », s’est défendu le chef de la diplomatie américaine. Saluant ces « déclarations », M. Zarif a, lui, réclamé une véritable mise en oeuvre de « tous les bénéfices » que devrait tirer l’Iran de l’accord. Ce qui signifie que l’inquiétude des Iraniens n’est pas dissipée.
Et à raison, explique Dr Hicham Ahmed, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire : « Téhéran a raison de s’inquiéter car l’accord ne lui a pas apporté tous les bénéfices attendus. Washington n’a pas respecté toutes les clauses de l’accord et l’a même contourné. Il a cherché d’autres dossiers qui n’y sont pas inclus, comme celui des missiles balistiques, pour bloquer le dégel des avoirs iraniens ou lever totalement les sanctions. C’est un jeu d’équilibriste que tente Washington : empêcher l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire sans lui donner tous les bénéfices qui lui permettraient de récupérer sa puissance économique et politique dans la région, car les Américains sont toujours sceptiques vis-à-vis de l’Iran », analyse-t-il.
Ainsi, alors que Washington tend une main à Téhéran, il le frappe de l’autre. Cette dualité américaine s’est traduite cette semaine avec la décision de la Cour suprême — la plus haute juridiction américaine — qui a obligé Téhéran de s’acquitter de 2 milliards de dollars auprès de 1 000 victimes américaines d’attentats soutenus par Téhéran. Des rescapés d’attaques et représentants d’Américains tués demandaient le versement de ces fonds. Parmi eux figurent les proches de 241 soldats américains tués le 23 octobre 1983 dans deux attentats suicide qui avaient frappé les contingents américain et français de la Force multinationale de sécurité à Beyrouth. Sont concernées aussi les victimes d’un attentat en 1996 contre les tours de Khobar en Arabie saoudite, qui avait tué 19 Américains. La décision a été évidemment rejetée par l’Iran, qui l’a qualifiée de « vol contre les avoirs de la République islamique allant à l’encontre du droit international », selon les termes de Hossein Jaber Ansari, porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères.
D’une pierre plusieurs coups
« Par ces manipulations, Washington veut faire d’une pierre plusieurs coups. D’abord, garantir que l’Iran ne fabriquera jamais une arme atomique. Ensuite, contenir la colère de ceux qui ont été ulcérés par la conclusion de cet accord, dont les pays du Golfe avec à leur tête l’Arabie saoudite, des alliés traditionnels avec lesquels les Américains ont d’importants intérêts. En outre, Washington veut calmer la colère d’Israël et des Républicains qui accusent toujours l’Administration Obama d’avoir en quelque sorte cédé à la République islamique en concluant un tel accord », explique Dr Hicham Ahmed.
On se trouve donc face à un jeu de diplomatie subtil de part et d’autre, chaque partie cherchant à tirer le maximum de profits. Si les Etats-Unis tentent ces manipulations, l’Iran fera tout pour concrétiser les résultats de l’accord. « L’Iran est la partie qui a gagné le plus, même si pour l’instant, il n’a pas récolté tous ses fruits. Il lui suffit d’avoir libéré quelques milliards gelés (à force de négocier, il va récupérer le reste), de s’être libéré des sanctions qui étouffaient son économie et l’empêchaient d’exporter son pétrole et son gaz, et plus important de tout, cet accord a permis à l’Iran de réaliser son rêve éternel : redevenir une puissance régionale », explique Dr Hicham Ahmed. Et de conclure : « L’Iran ne permettra jamais que l’on revienne à la case départ ».
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