Face aux nombreux scandales d’abus ou d’exploitation sexuels commis par des Casques bleus, le Conseil de sécurité a adopté, cette semaine, une résolution proposée par les Etats-Unis. C’est la première résolution du Conseil consacrée spécifiquement à ce problème récurrent dans les missions de maintien de la paix de l’Onu, en particulier en République centrafricaine et en République démocratique du Congo. La résolution permettra de rapatrier des unités entières de Casques bleus « quand il existe des preuves crédibles » d’abus sexuels répandus de la part de ces unités. Si un pays ne prend aucune mesure contre ses soldats fautifs, la résolution autorise le secrétaire général à « remplacer toutes les unités militaires et ou de police ». Il pourra même être écarté totalement des opérations de maintien de la paix.
En outre, les forces internationales qui ne sont pas sous commandement onusien mais sont mandatées par l’Onu — comme la force française Sangaris déployée en Centrafrique — sont invitées à « prendre des mesures adéquates » pour prévenir et sanctionner les abus sexuels. Des soldats français de Sangaris, accusés de viols d’enfants en Centrafrique, sont l’objet d’une procédure judiciaire en France.
Cette initiative avait d’emblée suscité des réserves de la part de plusieurs pays dont la Russie, l’Egypte et le Sénégal, tout en « condamnant sans équivoque » les abus sexuels. Le vote a été acquis par 14 voix favorables et une abstention (l’Egypte), après le rejet d’un amendement égyptien qui aurait édulcoré le texte. L’Egypte critiquait une « punition collective » pour les crimes commis par « quelques dizaines » d’eux. Selon l’ambassadeur égyptien, Amr Abdel-Latif Aboul-Atta, une telle approche risque d’avoir « un grave impact sur le moral du personnel et de ternir la réputation des pays qui fournissent des Casques bleus », a-t-il averti. Quatre pays (Angola, Russie, Chine, Venezuela) ont soutenu l’amendement égyptien, avant de se rallier finalement au texte américain.
Procédure rare
Le vote in extremis du Conseil sur un amendement est une procédure rare. L’ambassadrice américaine Samantha Power a rappelé que cette résolution s’agit de « s’attaquer enfin au cancer des abus et de l’exploitation sexuels, dont sont victimes des gens qui ont fait confiance au drapeau de l’Onu ». En revanche, pour l’ambassadeur adjoint russe, Petr Iliichev, « il faut écouter la voix des pays contributeurs (de Casques bleus) et ne pas dresser le Conseil contre ces pays ». La Russie estime aussi que ce problème ne relève pas de la compétence du Conseil.
En fait, les 16 missions de l’Onu dans le monde comptent plus de 100 000 soldats et policiers, fournis par 122 pays. Mais ce sont surtout des pays émergents ou en développement : Inde, Pakistan, Bangladesh (plus de 7 000 hommes chacun), Ethiopie (8 300), Rwanda (6 000), Burkina Faso (3 00O) ou Egypte (2 800). Les Etats-Unis financent 28 % de l’énorme budget annuel des opérations de maintien de la paix (8,3 milliards de dollars) mais ne déploient sur le terrain que 80 hommes. Selon le dernier rapport annuel du secrétaire général Ban Ki-moon, 69 cas d’abus sexuels auraient été commis par des Casques bleus en 2015, en « nette augmentation » sur 2014.
Deux missions cumulaient en 2015 la moitié des cas : celles en Centrafrique (Minusca) et en RD Congo (Monusco). Le rapport a nommé pour la première fois 21 pays dont sont originaires les Casques bleus mis en cause. Ce problème endémique ne date pas d’hier et ne semble pas s’améliorer : depuis le début de l’année, 26 nouvelles accusations ont émergé. Mais seuls les pays fournisseurs de soldats aux missions sont habilités à sanctionner pénalement les coupables et ils le font avec beaucoup de réticence. Il s’agit donc de faire pression sur eux afin qu’ils enquêtent rapidement et qu’ils punissent sévèrement leurs soldats coupables. « Les gouvernements devraient arrêter de faire bonne figure devant ce problème pour prendre des actions concrètes, comme améliorer la formation de leurs troupes et sanctionner les responsables d’abus », a conclu Sarah Taylor, responsable de plaidoyer auprès de la division droits des femmes chez Human Rights Watch, une organisation qui a levé le voile sur plusieurs cas d’exploitation sexuelle ces deux dernières années .
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