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Fabien Baussart : La solution militaire d’où qu’elle vienne ne sera jamais viable

Inès Eissa, Lundi, 07 mars 2016

Fabien Baussart, président du Centre de politique des affaires étrangères (CPFA), un centre de recherche indépendant basé en France, et proche observateur des négociations, nous livre son opinion sur la reprise des pourparlers intersyriens prévue ce jeudi.

Fabien Baussart

Al-ahram hebdo : Sur quelles bases les pourparlers de Genève vont-ils reprendre ? Peut-on considérer que le succès relatif de la trêve est un bon départ ?
Fabien Baussart : Après le relatif succès de la cessation des hostilités et de l’acheminement de l’aide humanitaire, même si cela est insuffisant au regard du désastre constaté sur le terrain, il est indéniable que nous avons franchi quelques obstacles depuis la résolution 2 254 et l’accord de Vienne 2. Désormais, l’ordre du jour doit être ciblé principalement sur la réforme constitutionnelle, la formation d’un gouvernement d’union nationale et l’organisation d’élections législatives et présidentielles dans les 18 mois suivants. Dans ce cadre, l’annonce du président syrien d’organiser des élections législatives relève de la provocation et ne respecte pas les accords de Vienne.

— Au cours des négociations à venir, à quel point l’opposition représente-t-elle les forces, notamment armées, présentes sur le terrain ?
— En réalité, ce n’est pas si important que cela puisque la grande majorité des forces rebelles sur le terrain ne souhaite pas négocier ni aujourd’hui ni demain. Dans ce cas, il importe de réformer les zones qui ne sont pas aux mains de rebelles extrémistes et de trouver un compromis entre l’Europe, la Russie, les Etats-Unis et l’Iran qui puissent faire en sorte que l’Etat syrien, réformé et débarrassé de ses éléments extrémistes, puisse combattre avec l’assentiment des pays énumérés ci-dessus toutes les forces extrémistes et qui ne souhaitent pas la paix en Syrie.

— La trêve actuelle peut-elle se transformer en un cessez-le-feu durable ?
— On peut l’espérer. Pour le moment, c’est la seule réussite de la diplomatie depuis le début du conflit en Syrie. Nous pouvons saluer le rôle d’initiateur qu’a joué la Russie.

— Oui mais la Russie n’est-elle pas en train de s’enliser en Syrie ?
— La présence militaire russe en Syrie est indéniablement un facteur qui tend à augmenter l’influence russe. Cela dit, je ne crois pas qu’elle soit en train de s’enliser en Syrie. Elle a eu l’audace, d’une part, de combattre férocement les forces rebelles extrémistes et terroristes, et d’autre part, elle a eu le rôle fondateur de la résolution 2 254 et de l’accord de Vienne qui nous ont menés vers un cessez-le-feu imparfait certes, mais réel. On peut opposer cela aux incantations stériles et puériles de bon nombre de pays européens qui ont oublié ce qu’est la diplomatie. Le bilan diplomatique européenne est affligeant et démontre à quel point les dirigeants politiques européens dans leur grande majorité sont de médiocres leaders.

— Cela dit, la situation est très complexe. Quelle est à votre avis la solution la plus réaliste et réalisable au conflit en cours en Syrie ?
— Il ne faut pas écarter une solution d’un Etat fédéral même si cette formule effraie beaucoup d’acteurs syriens aussi bien de l’opposition que du régime. Cela est dû probablement à leurs méconnaissances du fonctionnement d’un Etat Fédéral qui peut prendre de multiples formes. Néanmoins, l’urgence est de s’atteler à la réforme de la Constitution ainsi qu’à l’organisations d’élection les moins imparfaites possibles. Il faudra beaucoup de courage et de raison aux opposants syriens pour trouver un compromis. La solution militaire d’où qu’elle vienne ne sera jamais viable.

— Vous avez parlé d’Etat fédéral, la Syrie ne court-elle pas plutôt le risque d’un partage ?
— C’est trop tôt pour le dire. Je pense qu’il existe encore une réelle chance de préserver l’intégrité territoriale du pays.

— Quelles sont les limites de l’influence des forces régionales (Iran, Turquie, Arabie saoudite) par rapport au poids de la Russie et des Etats-Unis ?
— L’influence régionale est bien souvent néfaste au règlement de ce conflit. C’est bien pour cela qu’il ne faut pas exagérément les inclure dans la négociation. L’ayant déjà écrit, il y a presque 2 ans, les Turcs sont nos amis, mais la Turquie d’Erdogan est clairement l’ennemie de l’Europe et des Syriens. Quant à l’Arabie saoudite, je ne vois pas d’exemple dans l’Histoire où elle a contribué à régler un conflit. Elle est avant tout un problème du fait du fondement idéologique et religieux de ce pays et elle n’a cessé, quoi que disent certains experts, de financer les mouvements les plus extrémistes et déstabilisateurs.

— Certains avancent le scénario d’une guerre mondiale qui serait déclenchée à partir de la Syrie. Est-ce imaginable ?
— Je n’y crois pas même s’il faut être vigilant quant à l’irrationalité de certains dirigeants de la région, notamment le président Erdogan

Plusieurs tentatives de dialogue vouées à l'échec
Genève 1 : C’est la première tentative lancée en juin 2012 par la communauté internationale pour regrouper sur une même table de négociations les différents acteurs politiques afin de résoudre la crise syrienne qui commençait alors à se transformer en véritable guerre civile. Genève 1 jette les bases d’un règlement du conflit, mais ces bases restent lettre morte.

Genève 2 : Il a fallu attendre près de deux ans, et que la guerre ait pris de plus amples proportions, pour qu’un deuxième round de négociations ait lieu en janvier 2014. Objectif : Etablir un gouvernement de transition disposant de la plénitude d’un pouvoir exécutif sur la base des principes définis par Genève 1. Ont participé à Genève 2 des représentants du régime syrien et une Coalition Nationale des Forces de l’Opposition et de la Révolution (CNFOR).

Vienne 1 et 2 : Deux rencontres ont lieu à Vienne, le 29 octobre et le 14 novembre 2015. Ce sont les premières rencontres depuis l’entrée en jeu de la Russie en septembre 2015. Elles réunissent les puissances internationales et régionales. La feuille de route parle d’un règlement politique du conflit. Les participants se mettent d’accord sur la nécessité de mettre en place un cessez-le-feu et se sont fixé comme objectif de parvenir à des élections dans un délai de deux ans. Mais les négociations butent sur le sort du président de Bachar.

Genève 3 : C’est la dernière rencontre en date, elle a eu lieu le 28 janvier dernier. Elle a regroupé des représentants de l’opposition, mais un débat l’a précédée sur la question de savoir qui doit représenter l’opposition. Les acteurs s’opposent toujours principalement sur le sort à réserver à Assad. Les participants s’étaient mis d’accord sur une reprise des négociations le 25 février, une date finalement reportée au 10 mars prochain

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