Des manifestations ont éclaté à Jakarta contre Daech.(Photo: AP)
2016 sera-t-elle l’année du déclin de Daech ? Telle est la question ou plutôt l’espoir qui hante désormais tous les esprits. Pour les uns, il s’agit d’une hypothèse encore lointaine alors que, pour les autres, plusieurs facteurs renforcent cet espoir, surtout après l’intervention russe en Syrie fin septembre dernier et l’intensification des bombardements de la coalition internationale suite aux attentats de Paris le 13 novembre dernier. « Daech ne va pas s’effacer complètement en 2016 mais je pense qu’il va perdre beaucoup de son influence. L’intervention russe lui a coûté de lourdes pertes. De plus, la coalition internationale anti-djihadiste est devenue beaucoup plus efficace et homogène après les attentats de Paris. Il y a maintenant une tendance internationale très forte à liquider cette organisation terroriste le plus vite possible. Daech a déjà perdu le contrôle de plusieurs villes-clés comme Ramadi, chef-lieu de la province iraqienne d’Al-Anbar et Sinjar (nord de l’Iraq) », affirme Dr Norhane Al-Cheikh, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire.
Dans une tentative de compenser ses échecs au Moyen-Orient, l’Etat Islamique (EI) a tenté cette semaine de s’implanter en Asie du Sud-Est, y perpétrant pour la première fois des attaques inspirées de celles de Paris. A commencer par le pays musulman le plus peuplé du monde, l’Indonésie, Daech a réussi cette semaine à y semer le chaos en perpétrant plusieurs explosions au centre de la capitale Jakarta, faisant 4 morts parmi les civils et une vingtaine de blessés. Selon la police indonésienne, l’organisation terroriste avait lancé un avertissement énigmatique à la veille des attaques de Jakarta.
« L’avertissement disait qu’il y aurait un concert en Indonésie et que ce serait dans les informations internationales », a déclaré un porte-parole de la police, Anton Charliyan. Outre l’Indonésie, Daech a revendiqué sa première attaque contre le Pakistan, menant un assaut meurtrier contre un consulat de ce pays dans l’est afghan, faisant 7 morts, et une autre attaque contre une chaîne de télévision à Islamabad. Selon les experts, l’implication de l’EI en Asie du Sud-Est — peuplée de musulmans — crée de vives inquiétudes dans certains pays où des groupes islamistes — comme en Indonésie, aux Philippines, au Pakistan et en Malaisie — ont prêté allégeance à l’EI. Des combattants de ces pays sont déjà partis faire le djihad et commettent des attaques dès leur retour dans leurs pays. On parle déjà de 500 à 700 Indonésiens qui ont rejoint les djihadistes, dont des dizaines sont rentrés dans l’archipel récemment. « Ces frappes commises en Asie ne sont que le résultat des revers subis par Daech en Syrie et en Iraq.
L’EI veut détourner l’attention de ses échecs en augmentant son influence loin du Moyen-Orient, zone d’intérêt des superpuissances, de quoi faire craindre une expansion de ce mouvement terroriste en Asie les jours à venir. Les pays d’Asie du Sud-Est doivent s’unir vite pour stopper cette menace », met en garde Dr Al-Cheikh. Prouvant son intention de se retirer graduellement du Moyen-Orient, l’EI a affirmé à plusieurs reprises son désir de créer un « califat éloigné » au-delà du Proche-Orient et a identifié l’Indonésie comme le site de ses nouvelles ambitions.
Turquie-Daech : relations ambiguës
Si les violences commises en Indonésie et au Pakistan ont trouvé leurs justifications, l’attentat suicide, qui a récemment tué 10 touristes allemands en Turquie, reste, pourtant, le plus énigmatique. Or, comment Daech frappe-t-il un pays considéré comme son rempart et son parrain ? L’EI et Ankara ont des intérêts stratégiques et économiques communs comme leur volonté de s’emparer du pétrole de la Syrie et de l’Iraq, surtout que la Turquie est un pays très pauvre en énergie. Depuis l’émergence de Daech, les dirigeants turcs étaient accusés de complaisance envers ces djihadistes : soutien financier, facilités de passage à la frontière, livraisons d’armes, etc. Ces relations de complaisance sont apparues au grand jour au moment de la bataille de Kobané (nord de la Syrie) fin 2014 quand l’armée turque a refusé de venir en aide aux combattants kurdes qui défendaient la ville face aux djihadistes. Mais un revirement turc est survenu le 20 juillet 2015 après l’attentat djihadiste qui a provoqué la mort de 34 partisans de la cause kurde à Suruç, à la frontière syrienne. Sous la pression de ses alliés, la Turquie a rejoint en août dernier la coalition internationale et pilonné à plusieurs reprises des cibles djihadistes. « Ce qui se passe entre Ankara et Daech n’est qu’une pièce de théâtre.
Un complot très clair. C’est vrai qu’Ankara a adressé des frappes à l’EI mais c’était des frappes faibles et inefficaces. Ankara s’est servi de cette guerre contre Daech simplement pour frapper la rébellion kurde. Les deux alliés sont liés par de forts intérêts économiques : le pétrole est au centre de ces intérêts. La récente attaque de Daech contre Istanbul n’est qu’une scène dans cette pièce de théâtre dont Erdogan va largement se servir pour se disculper de toutes les accusations concernant son soutien à ce réseau terroriste. Les deux alliés font semblant de s’affronter pour tromper la communauté internationale », explique Dr Norhane.
Quel que soit son motif, cet attentat marque une nouvelle étape dans les relations ambiguës entre la Turquie et les djihadistes. Il marque aussi un changement de cap dans la stratégie de l’EI dont les actions en Turquie étaient concentrées jusque-là sur des cibles kurdes et visent pour la première fois le tourisme, secteur-clé pour l’économie turque. Loin de ces relations équivoques, une chose semble sûre : Daech a prouvé cette semaine à la communauté internationale qu’il peut frapper là où il veut. Il a d’abord frappé Paris (coeur de l’Europe), puis l’Indonésie (sud-est asiatique), le Pakistan (centre de l’Asie) et la Turquie (ouest de l’Asie). Il a aussi ses cellules en Afrique que ce soit en Libye, au Nigeria, au Yémen ou en Somalie. « Mais, ce que fait Daech n’est que la danse de la mort. Les superpuissances ne vont plus rester les bras croisés face à ce danger qui s’implante et les menace elles-mêmes. Elles vont tout faire pour lui barrer la route en Asie comme elles l’ont fait au Moyen-Orient », prévoit Dr Al-Cheikh.
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